Décroissance, «les relais politiques sont rares»


«Penser le changement plutôt que changer le pansement», tel est le slogan des «Cafés décroissance» organisés à Lausanne par le Réseau des objecteurs de croissance, le ROC, dont la première antenne en Suisse romande remonte à 2008. Longtemps déconsidérée, classée parmi les utopies, la décroissance offre-t-elle une alternative économique dans le contexte des grandes remises en question énergétiques qui secouent la planète?
Propos recueillis par Christian Campiche
Mirko Locatelli, vous êtes l’un des animateurs du ROC, une organisation que peu de personnes prenaient au sérieux il y a encore quelques mois. Depuis Fukushima, on a l’impression d’assister à une évolution importante dans les esprits. Vous confirmez?
Mirko Locatelli: Je ne serai pas aussi optimiste. Mais il est vrai que l’on peut constater malgré tout un frémissement dans les comportements, en tout cas par rapport aux débuts du Club de Rome, il y a une quarantaine d’années. Il y a encore dix ans, les décroissants étaient assimilés aux hommes des cavernes. Les médias contribuaient largement à cette image. On assiste aujourd’hui gentiment à une prise de conscience.
Pourtant récemment, l’éditorialiste d’un grand média lémanique a prôné la décroissance dans les colonnes de son journal, d’habitude plutôt conservateur…
Là aussi, je reste plutôt sceptique. Allez sur un moteur de recherche et tapez le mot «décroissance». Vous y verrez que les commentaires demeurent largement négatifs. Les journaux lient généralement la décroissance à la récession, ce qui n’a rien à voir. L’acte de décroissance doit être choisi et non subi. Il n’implique pas les tentatives d’imposer un rationnement ou d’autres mesures. Il doit être issu d’une discussion collective.
Un projet commun?
Oui, et surtout venu d’en bas, du peuple. Les théoriciens du développement durable l’oublient trop souvent. Prôner une gouvernance qui ferait l’impasse de la consultation démocratique est dangereux. Une telle attitude pourrait mener à la barbarie. Des signaux négatifs sont déjà donnés par les guerres récentes. C’est l’appropriation des ressources qui les motive.
Quels buts poursuivent dès lors les objecteurs de croissance?
Il s’agit d’abord de sortir la société de la croissance productiviste. C’est pour accélérer cette prise de conscience que le ROC tente de formuler des propositions concrètes à partir de projets locaux et appuyant l’idée de la simplicité volontaire, un concept développé par des théoriciens de la décroissance comme Serge Latouche ou Paul Ariès. Nous sommes persuadés que la politique des «petits gestes» individuels, souvent défendue par les tenants du développement durable, ne suffit pas. Nous insistons sur les actions collectives et politiques.
Vous pouvez donner des exemples?
L’action «Ralentir la ville», axée sur la mobilité, les biens communs et le développement d’espaces agricoles au sein même de la cité, a été organisée à Lausanne en novembre 2010 sur le modèle d’initiatives semblables en France, en Grande-Bretagne ou en Italie. La création de monnaie locale s’inscrit aussi dans la perspective de sortir du «tout économique» voué aux grandes surfaces. Ici, le modèle est allemand.
Vous recherchez donc l’appui des collectivités publiques?
Pas uniquement. L’objection de croissance est essentiellement une démarche associative. Mais il est clair que nous fondons notre espoir sur des forces politiques qui ne raisonneraient pas seulement en termes de croissance.
Vous croyez que de telles forces existent, dans la constellation politique actuelle?
Actuellement il y a très peu de relais, même parmi les Verts. Une petite partie d’entre eux seulement se rend compte que le développement durable n’est que du rinçage de bouche. Quant à la gauche, elle peine à trouver une unité de vues. S’il lui arrive de critiquer le productivisme, elle n’en reste pas moins prisonnière du dogme du travail et de l’emploi. Pour les objecteurs de croissance, la réduction du temps de travail est fondamentale. Pour une grande partie de la gauche, il s’agit encore d’un tabou.
La Liberté” du 5 mai 2011

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