La photographie, cet art qui libéra la peinture du joug de la reproduction fidèle


En 1826, c’est la première parution du «Journal de Genève» fondé par James Fazy. C’est aussi l’année du lancement du premier bateau à vapeur sur le lac de Neuchâtel.

PAR GERALD MORIN

À Nantes, on inaugure la première ligne de transport en commun au monde, avec une voiture à chevaux pouvant emmener jusqu’à 16 personnes. À Valence, le 26 juillet, a lieu la dernière exécution ordonnée par le tribunal de l’Inquisition qui fait exécuter le maître d’école, Cayetano Ripoll, sous prétexte d’hérésie. Charles X, le frère de Louis XVI, règne encore sur la France. Le peintre Jean-Louis David vient de mourir. Le néo-classicisme du «Sacre de Napoléon» laisse la place au romantisme du jeune Eugène Delacroix. Rodolphe Töpffer vient d’achever son «Voyage dans les Alpes» qu’il a abondamment illustré avec des croquis et des esquisses. Quelques mois plus tard, il commence aussi à assembler des textes et des dessins montés en séquences selon une formule complètement nouvelle de narration en images. Gœthe découvre avec enthousiasme cette nouvelle manière de raconter, lui qui n’a cessé d’agrémenter son récit de «Voyage en Italie» avec des illustrations de sa main.

La bande dessinée vient de naître. Un peu comme le ferment de ce qui deviendra un jour l’image fixe puis les images animées ; nous devrons encore attendre 70 ans pour voir le premier film de l’histoire du cinéma: «La sortie de l’usine Lumière» à Lyon réalisé par Louis et Auguste Lumière. Et c’est au cours de cette même année 1826 que naît la plus ancienne photo au monde dont on ait la trace. Elle est l’œuvre de l’inventeur français Joseph Nicéphore Niépce. Intitulée «Point de vue du Gras», elle représente un paysage composé de façades, du toit d’une grange, d’un arbre et d’une haute cheminée dans le lointain. C’est le point de départ d’une aventure qui, de recherches techniques en tâtonnements chimiques, aboutira à une nouvelle manière de saisir la réalité dans l’instant présent et de lui permettre de restituer cette réalité instantanée de façon pérenne.

À l’époque, étant donné le coût élevé du matériel et les longs temps de pose exigés pour réaliser une photographie, on donne surtout de l’importance au choix du sujet. Peu à peu, comme en peinture, le choix du meilleur point de vue et de la meilleure lumière possible devient primordial. Les photographes, dont font partie nombreux anciens étudiants en beaux-arts, s’emparent de ce nouveau moyen d’expression pour en faire, pour certains, l’objet de la reproduction fidèle du réel, pour d’autres, la voie royale de la représentation de la réalité. Ces derniers, dès la fin des années 1860, vont se battre pour faire reconnaître que la photographie n’est pas seulement une invention et une manipulation technique mais une nouvelle forme d’art. Ils mettent de la vaseline sur l’objectif, utilisent le flou dans les premiers plans, grattent le négatif, interviennent sur la copie, démontrent que l’action du photographe ne se limite pas au simple geste d’appuyer sur un bouton, mais est bien l’intervention du point de vue personnel de celui qui emploie cet appareil.

Cette nouvelle manière de s’exprimer artistiquement va libérer la peinture du joug de la reproduction fidèle, elle qui, jusque dans les années 1860, naviguait avant tout entre le portrait intimiste et les grandes fresques historiques ou mythiques. Une vingtaine d’années avant l’avènement du cinéma (1895), la peinture impressionniste verra le jour suivie par la révolution cubiste qui se développera peu avant la Première Guerre mondiale.

Mais nous sommes encore loin de notre époque où l’image envahit notre quotidien de façon oppressante à travers les chaînes de télévision, les écrans d’ordinateurs, les journaux, les panneaux publicitaires… époque actuelle qui va aussi transformer profondément l’attitude des photographes. Ces derniers vont être, comme les peintres de la fin du XIXe siècle, confrontés à un nouveau cheminement, à un nouveau comportement, à un nouveau regard, dans l’exercice de leur art.

Article paru dans «Culture Enjeu», No 37 – mars 2013.

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