L’accord sur le nucléaire iranien et les bonnes vieilles questions de Robert McNamara


Ainsi donc, après un bras de fer entre l’Iran et, à ce qu’on voudrait presque nous faire croire, le reste du monde, lequel dure depuis des années, «un accord sur le nucléaire iranien a été conclu entre Téhéran et les grandes puissances», comme le dit en l’occurrence le télétexte de la rts.

PAR BERNARD WALTER

Cet accord on peut en voir les grandes lignes dans tous nos journaux. Si l’on en croit le secrétaire d’Etat des USA John Kerry, cet accord «rendra le monde plus sûr». M. Netanyahu, premier ministe israélien, affirme lui que «le monde est devenu dangereux». A ses yeux, «le régime le plus dangereux du monde a fait un pas important vers l’acquisition de l’arme la plus dangereuse du monde». Le Français Laurent Fabius dit que l’accord «exclut tout accès à l’arme nucléaire de la part de l’Iran».

Nous voilà donc bien informés. En tout cas bien informés sur le caractère éminemment propagandiste de l’information à laquelle nous soumettent les «grandes puissances».

Si je comprends bien ce qu’on est en train de nous servir depuis des mois et des années, c’est que la paix dans le monde dépend des programmes d’armement nord-coréens et iraniens. Pas un mot dans ce débat sur le mépris du droit international et des droits de l’homme par les Américains et leurs serviteurs occidentaux, lorsque ce sont eux qui violent les règles édictées par la «communauté internationale». Et pas un mot bien sûr sur la détention de bombes nucléaires par Israël, qui lui a le droit de faire une totale rétention d’information sur son programme nucléaire.

«C’est avec raison que des pressions s’exercent sur la Corée du Nord pour qu’elle adhère au Traité de non prolifération et sur l’Iran en vue de réfréner ses ambitions nucléaires. Mais l’attention de nombreuses nations est également tournée vers les USA. Que les USA conservent un tel nombre d’armes nucléaires (4500 ogives!) montre bien qu’ils n’ont pas l’intention d’éliminer leur arsenal. Ce qui pose cette question troublante: pour quelle raison n’importe quel autre Etat devrait-il restreindre ses ambitions nucléaires?»

Quel antiaméricain primaire a bien pu écrire des choses pareilles ?

Ce texte date de 2005, il est tiré d’un article intitulé «Apocalypse soon» paru dans «Foreign Policy», et son auteur n’est autre que le grand chef de guerre américain Robert McNamara, ancien secrétaire à la défense, puis président de la Banque mondiale durant 13 ans.

Dans cet article, M. McNamara, grand connaisseur de la question des armes nucléaires puisqu’il fut l’un des concepteurs principaux du programme d’armement nucléaire américain, se livre à une évaluation du problème et à une critique de la politique américaine en la matière.

«Il est grand temps – cela n’a que trop tardé, selon moi -, que les USA cessent de fonder leur politique étrangère sur l’armement nucléaire comme à l’ère de la Guerre froide. Au risque de paraître simpliste et provocateur, je pense que la politique actuelle d’armement nucléaire des USA est immorale, illégale, militairement inutile et épouvantablement dangereuse. Le risque d’un déclenchement accidentel ou par inadvertance est inacceptable, tant il est élevé. Loin de réduire ce risque, l’administration Bush continue à maintenir l’arsenal nucléaire américain comme le pilier de sa puissance militaire – une politique qui va à l’encontre des normes internationales visant à empêcher la prolifération des armes nucléaires. (…)»

«Aujourd’hui, les USA ont environ 4500 ogives nucléaires offensives, contre environ 3800 à la Russie, et 200 à 400 pour la Grande-Bretagne, la France et la Chine, moins de cent pour le Pakistan et l’Inde. Chacune des ogives américaines a une puissance destructrice égale à vingt fois la bombe d’Hiroshima. ( …) Les USA n’ont jamais souscrit à la politique de «ne pas tirer les premiers». Nous pouvons en tout temps déclencher une attaque nucléaire – sur la décision d’une seule personne, le président. (…) Toute cette situation dépasse l’entendement. Le président est préparé à prendre, en vingt minutes, la décision de déclencher l’une des armes les plus dévastatrices au monde, et ce à n’importe quel moment. Une déclaration de guerre requiert un acte du Congrès, mais pour un holocauste nucléaire, il suffit de vingt minutes. (…).»

«Le simple souffle d’une telle bombe et les débris envoyés dans l’espace par des vent de 380 km heure suffisent à tuer instantanément au moins 50% des gens dans un rayon de 5 kilomètres, avant même les effets des radiations et des incendies. (…) L’argument que nos armes nucléaires ne visent pas les populations civiles est totalement trompeur. Les effets «collatéraux» de grosses frappes nucléaires seraient la morts de dizaines de millions de civils. (…) Telle est la menace que des pays comme les USA et la Russie font planer sur le monde à chaque minute de chaque journée.»

«Une fois au poste de secrétaire à la défense, je suis arrivé très vite à ces conclusions, mais il m’était impossible de faire des déclarations sur la question en raison de mes fonctions. On a beaucoup dit qu’en cas d’une guerre nucléaire contre l’URSS, les USA seraient gagnants. J’ai donné certaines informations pour que ceux qui croyaient de telles choses remettent les pieds sur terre. ( …) Contrairement aux théories sur l’usage limité d’armes nucléaires, j’ai exprimé le point de vue qu’il n’y a pas d’usage limité possible de ces armes. Il n’y a pas de possibilité d’empêcher des dégâts monstrueux, et il n’y a aucune garantie contre une escalade sans fin. (…) L’usage des armes est sans retour. Il causerait la destruction de nations entières. Il n’y a aucun moyen de réduire les risques à des niveaux acceptables. (…) L’administration Bush a déclaré qu’elle n’a aucune intention de ratifier le traité d’interdiction d’essais nucléaires. Ce faisant, elle dit aux nations qui ne possèdent pas l’arme atomique : « Nous, qui avons les armes conventionnelles les plus fortes au monde, nous réclamons les armes nucléaires à perpétuité, mais vous, vous n’en aurez jamais une seule.»

«Si les USA continuent de la sorte, il va s’ensuivre une prolifération substantielle d’armes nucléaires. Pensons à des pays comme l’Egypte, le Japon, l’Arabie Saoudite, la Syrie et Taiwan. Il est temps de passer au débat réel. Quand ce débat aura lieu, je crois que sa conclusion sera identique à celle à laquelle je suis parvenu avec un nombre croissant de chefs militaires et civils: Nous devons aller le plus vite possible vers l’élimination de toutes – ou quasi toutes – les armes nucléaires.»

M. McNamara pose la seule vraie question de fond de toute cette problématique, et c’est ce débat là que les «grandes puissances» éludent systématiquement, continuant à alimenter des sentiments haineux ou discriminatoires contre ceux qui sont désignés comme les méchants, les bons étant naturellement nous, les civilisés occidentaux.

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