JO, la malédiction du vainqueur


Il faut toujours écouter la sagesse antique: «Quand les dieux veulent perdre un homme, ils le rendent fou».

PAR MARC SCHINDLER, Alès

Non, je ne vous parle pas d’asile d’aliénés. Je vous parle des Jeux Olympiques. Anne Hidalgo, maire de Paris, a bien envie d’organiser les Jeux d’été en 2024 à Paris: «Si on y va, c’est pour gagner». Encore le panache français! Mais qu’est-ce qu’ils ont tous, ces maires, à vouloir décrocher la timbale olympique? Hubris, répond le philosophe grec: «tout ce qui, dans la conduite de l’homme, est considéré par les dieux comme démesure, orgueil, et devant appeler leur vengeance.» En 2024, Anne Hidalgo ne sera peut-être plus maire de Paris. Mais elle rêve que son nom reste dans l’histoire olympique. Ah bon, vous vous souvenez du nom du maire d’Athènes, qui a lancé les JO de 1996? Ou de celui de Barcelone en 1992?

En revanche, les Athéniens et les Barcelonais n’ont pas oublié la colossale facture qu’ils paient pour éponger la dette olympique. Sans parler des habitants de Montréal. Il leur a fallu 30 ans pour solder les dépenses des JO de 1976, engagées par leur bien-aimé maire, Jean Drapeau. Vous savez, celui qui proclamait: “Le jour où les Jeux de Montréal seront en déficit, les hommes accoucheront.». Les maires passent, les factures restent! Les JO de Paris en 2024, c’est une plaisanterie à 6 milliards d’euros, estimation 2015. Escroquerie intellectuelle. “C’est une estimation d’une estimation d’une estimation d’une estimation”, ironise l’économiste américain Victor Matheson. Tout le monde le sait depuis des années, pour vendre une candidature au comité olympique, on sous-estime les charges et on surestime les retombées économiques. Selon l’économiste du sport Wladimir Andreff, «Les économistes appellent ça “The winner’s curse”, “la malédiction du vainqueur”. Les villes candidates sont priées d’élaborer des projets mirobolants, mais pour des budgets que le CIO exige “raisonnables”. Les concurrentes masquent donc leurs coûts. De même qu’elles surévaluent par des études d’impact flatteuses les bénéfices qu’elles retireront de l’accueil de l’événement. Le système de sélection induit mécaniquement des dérives économiques, de même qu’il pousse au lobbying acharné, voire à la corruption.»

Ce qui se passe au Brésil, où auront lieu les JO l’an prochain, n’encourage pas l’optimisme. Le vice-président du CIO a déclaré que c’étaient les pires qu’il connaissait, pires que ceux d’Athènes. Selon FranceInfo: «En cinq ans, les coûts ont explosé de 30%, en raison notamment de l’inflation. Le comité en charge de l’organisation des JO d’été de 2016 à Rio en avait estimé le coût total à 28,8 milliards de reais (plus de 9 milliards d’euros) en 2009. Il a depuis grimpé à 36,7 milliards (12 milliards d’euros) sans même prendre en compte plus de la moitié des 52 projets ou équipements sportifs exclusivement dédiés aux JO d’été qui n’a pas encore été approuvée.»

L’improvisation dans la candidature, la corruption des membres du CIO, l’incompétence dans l’organisation, c’est le couplet que chantent à pleins poumons les médias avant chaque JO. Mais rien de décourage les comités nationaux. Les dirigeants du comité français viennent de remettre au maire de Paris «le programme prévisionnel de la remise de l’étude d’opportunité relative à une candidature française aux Jeux Olympiques et Paralympiques 2024.» C’est beau comme un programme électoral: «Les Jeux financent les Jeux», «d’une part grâce à une contribution directe du CIO – un peu plus d’1 milliard de dollars (0,88 milliard d’euros) pour Londres, au moins 2 milliards (1,77 milliard d’euros) à partir de 2020 – et d’autre part grâce aux revenus du comité d’organisation liés à la billetterie et au programme marketing… Les pouvoirs publics apportent uniquement 3 % du budget total du comité d’organisation des Jeux… Cette somme ne sert pas à financer les Jeux olympiques, elle est intégralement dédiée au financement d’une partie des coûts spécifiques des Jeux paraolympiques… les délais de réalisation de l’étude n’ont pas permis de faire une analyse détaillée de l’ensemble des scénarios. «Vous auriez confiance, vous, dans un architecte qui présenterait un devis estimé à 6 milliards, pas détaillé, faute de temps?

C’est le temps des promesses qui, comme chacun le sait, n’engagent que ceux qui y croient. François Hollande: «Ça fera plein d’équipements avant, plein d’emplois, plein d’industries qui pourront se montrer». Anne Hidalgo: «Pas question de faire supporter le coût des Jeux sur les seuls contribuables parisiens. Je veux des garanties.» Selon un sondage, 76% des Français seraient pour les JO de Paris. Aujourd’hui. Mais demain, si Paris est sélectionné, il faudra bien faire des calculs précis. Si les politiciens croient que c’est avec des promesses de cet acabit que les Parisiens, les Marseillais ou les Lillois vont avaler la candidature de Paris pour les JO de 2024! Ils savent bien que, dès que la flamme olympique sera éteinte, les hausses d’impôt et de taxes vont pleuvoir. «Plus vite, plus haut, plus fort», selon la fière devise olympique.

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Un commentaire à “JO, la malédiction du vainqueur”

  1. Pierre-Henri Heizmann 14 février 2015 at 12:44 #

    Merci pour cet éclairage d’une pertinence olympienne! Nous mesurons combien l’éthique sportive portées et déclamées par les élites dirigeantes de toutes les fédérations sportives est empreintes de mensonges. Ceci découle-t-il de la pratique courante de l’intimidation de l’adversaire à battre? Quand au peuple il sera de toute façon perdant..,

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