Le venin mortel des relations publiques


Dans le monde des médias américains, le venin des relations publiques (PR) tue les journalistes.

PAR MARC SCHINDLER

Aux Etats-Unis, sauf à Washington, New York et Los Angeles, 12 000 postes de journalistes ont disparu en dix ans, selon le Département du Travail. Dans le même temps, 20 000 nouveaux emplois ont été créés dans les relations publiques. Pourquoi? Parce que les PR sont bien mieux payées que le journalisme et que le fossé des rémunérations s’est creusé en dix ans. Selon le centre de recherche Pew, en 2004, quand un spécialiste PR gagnait 43 830 dollars, un reporter n’en gagnait que 31 320. En 2013, le PR gagnait 54940 dollars, mais le reporter seulement 35600. L’écart avait augmenté de 6%!

Vous avez compris pourquoi les journalistes quittent le métier pour devenir porte-parole officiel, attaché de presse, conseiller en communication ou consultant. Selon le mot de l’écrivain Jules Janin : «Le journalisme mène à tout à condition d’en sortir». Difficile de résister quand on vous offre un salaire en or pour prodiguer au bon peuple la parole du ministre, du maire ou de l’entreprise. Si vous voulez continuer à être journaliste, attendez-vous à un boulot pénible, stressant, répétitif, à mettre en forme des dépêches ou des images d’agence, devant votre écran d’ordinateur. Vous rêviez de devenir un grand reporter, vous vous retrouvez dans une newsroom électronique. Ou comme me le disait un ancien collègue: je voulais être chercheur de pétrole, je vends de l’essence dans une station-service.

Je vous entends déjà ricaner: franchement, entre le journalisme et les relations publiques, je ne vois pas de différence, les deux nous vendent leur salade! Les journalistes se gargarisent de la liberté de la presse. En France, ils oublient que les subventions les transforment souvent en “bouffons du Roi”, entretenus par le pouvoir pour amuser la galerie, mais pas pour remettre en question ce même pouvoir. Le “Monde”, le “Figaro”, “Ouest-France” ou “Libération” auraient fait faillite depuis longtemps sans les «aides à la presse», près de 700 millions d’euros en 2013: TVA à 2,1%, niches fiscales pour les journalistes, exonérations fiscales. Voilà pourquoi le nombre de journalistes n’évolue presque pas en France: 36317 cartes professionnelles en 2014. Mais le secteur de la communication emploie 377000 personnes, dix fois plus.

Le problème des journalistes, c’est que leur job dépend de l’argent que les lecteurs acceptent de payer pour acheter un journal ou s’y abonner. Enquêter, vérifier, publier et distribuer, cela coûte cher. Mais le public ne le sait pas et ne veut pas le savoir: pourquoi payer quand on peut avoir à l’oeil de l’information par Internet et les réseaux sociaux? C’est une logique que les économistes connaissent bien: si le supermarché vend moins cher, l’épicier du quartier va fermer boutique. C’est pour cela qu’on ne fabrique plus de chaussures ou de pianos en France. Les Asiatiques le font mieux et moins cher. Pour la presse, c’est différent: si le journal local ferme parce que plus personne ne l’achète, qui va donner les nouvelles locales, qui va enquêter sur les combines des élus et les petits arrangements entre amis politiques? C’est plus facile et moins risqué de faire un papier sur le chat perdu de Marine Le Pen ou le dernier selfie du président que d’enquêter sur les comptes cachés des députés. Quand un journaliste n’a pas le temps ni les moyens de rechercher une information, il trouve plus plus rapide et moins cher de reprendre le communiqué du maire, du du député ou de l’entreprise locale.

C’est du journalisme ou des relations publiques? Vous vous en moquez, vous ne voyez pas la différence. Personne ne vous a appris à décrypter l’information. C’est un étonnant paradoxe: vous ne faites pas confiance aux journalistes, mais vous gobez tout ce que vous racontent Facebook et Internet où les bobards les plus gros fleurissent tous les jours.

Je suis peut-être vieux jeu ou candide, mais, avec la Méduse, j’ai toujours aimé cet aphorisme de George Orwell: «Être journaliste, c’est imprimer quelque chose que quelqu’un d’autre ne voudrait pas voir imprimé. Tout le reste n’est que relations publiques.»

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