Latin ou informatique, il faut choisir!


Qu’elle est belle, l’indignation de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l’Education nationale, pour défendre l’enseignement du latin et du grec au collège!

PAR MARC SCHINDLER, Alès

Avec des accents d’un Déroulède de l’enseignement, le fougueux septuagénaire stigmatise le projet de réforme de la jeune ministre Najat Vallaud-Belkacem, en proclamant qu’il s’agit d’un «attentat contre la culture française».

Qu’elle paraît dérisoire, cette indignation, quand la France est 25e sur 65 pays, dans l’enquête internationale PISA, qui évalue tous les trois ans les élèves de 15 ans. Quand les petits Suisses, les Néerlandais, les Allemands, les Polonais comprennent mieux à l’écrit que les jeunes Français. Quand, selon les chiffres officiels, «parmi les élèves ayant fait leur première rentrée en classe de 6e en septembre 2011, 12,3 % accusent un retard scolaire d’au moins un an.» Quand la France est championne de l’OCDE en termes de redoublement. Quand «en 2008, lors du TOEFL (Test of English as a Foreign Language), les candidats français (en fin de lycée) arrivent tout juste au niveau attendu. La France se classe au 69e rang du classement mondial (109 pays)».

Comme toute ministre de l’Education nationale qui se respecte, Najat Vallaud-Belkacem a lancé sa réforme sous le slogan martial: «Mieux apprendre pour mieux réussir». Parmi les mesures proposées, maîtriser deux langues vivantes et développer les compétences numériques. Dans quel guêpier s’est-elle fourré? Quoi, apprendre l’allemand et l’anglais à la place du grec? Apprendre à mieux utiliser un ordinateur au lieu d’enseigner le latin?

C’était mettre le feu aux poudres. Les thuriféraires du collège de leur enfance ont mobilisé leurs troupes. Dans le “Monde”, la fondatrice et présidente d’honneur de l’association le latin dans les littératures européennes proclame: «Le projet de Mme Vallaud-Belkacem entérine la mort du latin et du grec». Le magazine “Marianne” lance une pétition «Pour sauver l’école, sauvons la réforme du collège». Pas vraiment dans la nuance: «le combat qui s’ouvre ici dans l’intérêt de l’enfant est un combat qui nous concerne tous. C’est un combat contre toutes les formes de barbarie. Il faut arrêter le gâchis pendant qu’il en est encore temps, pendant qu’il reste encore dans ce pays un amour commun pour la transmission et l’instruction. Qui ne voit pas ici que l’enjeu n’est pas politique: c’est un enjeu de civilisation!»

L’enseignement du latin et du grec, ça ne me laisse pas indifférent. J’ai fait à Genève des études classiques, 7 ans de latin et 3 de grec. Je n’ai pas beaucoup aimé De Bello Gallico (la guerre des Gaules de Jules César) enseigné par un maître un peu rigide. J’ai adoré le poète grec Pindare qu’un enseignant enthousiaste nous traduisait avec passion. Ce que ça m’a apporté? Une bonne culture générale, l’amour des textes et peut-être un peu de rigueur dans l’écriture. Toutes choses qui m’ont été utiles dans mon métier de journaliste. Quand j’ai commencé science po, j’ai dû ramer pour apprendre l’anglais et, plus tard, pour maîtriser l’ordinateur. Mais, je vous parle des années 60 et 70. Mes deux fils n’ont pas fait grec et latin, mais ils sont très à l’aise en anglais et ils maîtrisent l’informatique mieux de moi.

Le problème de l’éducation nationale en France, c’est que les Français sont des cancres en anglais et en allemand. A part le premier ministre multilingue par sa famille, les politiciens français font ricaner dans les conférences internationales et les cadres des multinationales sont souvent à la peine à l’étranger. Pour l’informatique, ça ne va pas mieux. Les petits Finlandais et les petits Estoniens apprennent le code informatique dès 7 ans. En Allemagne, on enseigne l’informatique tout au long de la scolarité. En France, on se tâte pour savoir s’il faut enseigner le codage informatique, pour apprendre à son ordinateur ce qu’il doit faire. Pourquoi? Pas pour former une armée de programmateurs, mais pour éviter que les enfants soient de simples consommateurs de jeux et de vidéos sur les réseaux sociaux. Dans les classes de terminales scientifiques, l’option Informatique et sciences du numérique se limite souvent à la maîtrise du traitement de texte et du tableur!

Dans la querelle des anciens et des modernes sur le latin ou l’informatique, il faut rappeler quelques vérités: en terminale, il y a moins de 20 000 élèves qui apprennent le latin, 4,3%. Il n’y a presque plus de profs de grec et latin. Les études classiques donnent une bonne culture générale, mais peu d’emplois. La connaissance des langues comme l’anglais, l’allemand, l’espagnol, le russe et le chinois ouvre des portes et la maîtrise du langage informatique avancé garantit des emplois dans l’industrie, la recherche, les services. Au risque de provoquer, je rappellerai ce proverbe latin: «Una salus victis nullam sperare – La seule chance de salut pour les vaincus, c’est de n’espérer aucun salut.»

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3 commmentaires à “Latin ou informatique, il faut choisir!”

  1. Bernard Walter 5 mai 2015 at 15:09 #

    Nous nous trouvons là en effet dans une querelle des anciens et des modernes.
    Cette opposition entre informatique et latin, je la trouve extraordinaire. En admettant qu’on puisse trouver un lien logique dans ce rapprochement, je n’en comprends qu’une conclusion possible: « Du passé faisons table rase ».
    Mais allons au bout de la logique. Rayons des programmes l’histoire, inutile à l’embauche, et toute littérature datant de plus de… disons cinquante ans. Ce qui se trouve comme information sur nos tablettes et ordinateurs devrait suffire.
    Ça fera de la place pour tout ce qui pourrait servir dans la vie. Et puis pour ceux qui veulent pousser un peu les études, le chinois ou l’arabe sauront combler leurs soifs intellectuelles.
    En ce qui me concerne, en l’occurrence je me situe résolument dans le camp des anciens. Ceux d’entre nous qui ont eu cette chance de faire du latin et du grec auraient beau dire que ça ne sert à rien, ils ont bénéficié d’un outil qui nous relie aux racines mêmes de notre culture occidentale et à la compréhension de ce que nous sommes.
    Où je quitterais le camp des anciens, c’est en émettant une idée nouvelle : on pourrait effectivement supprimer le latin et le grec, et y mettre à la place un cours de compréhension du monde, lequel traiterait en particulier de qui le gouverne, de ce qu’est la finance mondiale, de ce qu’est le rôle de l’armement et des guerres dans ledit monde.

  2. Schindler 5 mai 2015 at 21:58 #

    Je soutiens votre proposition : l’école comme instrument de compréhension du monde politique, économique et financier. Étudier les racines de notre culture occidentale, mais aussi des autres cultures. Apprendre à décrypter le langage des médias, des politiciens et des patrons. Quel ministre de l’éducation osera proposer un tel programme ?

  3. Bernard Walter 6 mai 2015 at 11:05 #

    Excellent ! Je suis vraiment très content que vous partagiez cette idée, qui fait partie de ce que je nomme mes utopies nécessaires,

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