La BNS est fan de Wall Street


Le franc suisse est trop fort. Ceci est le leitmotiv de la BNS pour expliquer officiellement sa politique monétaire.

PAR LILIANE HELD-KHAWAM

Du coup, sa mission officielle pourrait être la suivante :

«La BNS doit affaiblir le franc suisse face à l’euro pour préserver les intérêts des exportateurs suisses. Pour ce faire, la BNS se donne TOUS les moyens possibles y c de fixer des taux d’intérêt négatifs, de racheter des dettes publiques toxiques, d’alimenter massivement les comptes de virement des banques, de pratiquer le REPO sans limite etc.».

Essayons de voir ce qu’il en est dans les faits grâce aux données du premier trimestre 2015.

Entre fin mars 2014 et fin mars 2015, le bilan de cette institution est passé de 495 milliards de francs à 581. En un an, 86 milliards de francs sont sortis de nulle part dans l’objectif déclaré de défendre le franc trop fort face à l’euro. A titre de comparaison, l’ensemble du bilan de cet établissement s’élevait en 2005 à 109 milliards…. Les Suisses étaient alors bien plus prospères qu’ils ne le sont aujourd’hui…

L’analyse des actifs montre clairement que la BNS boude largement les placements en franc suisse. Pour 532 milliards investis en devises, moins de 4 milliards sont placés en Suisse. Cela représente 0,7% de ce qu’elle fait pour l’étranger… A méditer tout de même.

•  Option claire pour l’euro et le dollar américain

A fin mars, 32% des placements en devises sont faits en dollar américain et 42% en euro. Cela fait de l’équipe dirigeante de la BNS des interlocuteurs de premier plan des gouvernements étrangers. La force de frappe financière de cet établissement, somme toute privé, est redoutable.

• La BNS affaiblit l’euro depuis janvier 2015

La BNS a été une grande acheteuse de dollars américains. En l’espace de 3 mois, elle a fait passer ses réserves en dollar de 29 à 32% alors que le volume du bilan augmentait aussi. Ce sont donc 22 milliards supplémentaires que la BNS a investis en dollar américain (148 milliards investis en $ à fin 2014 passent à 170 milliards fin mars 2015).

Ce faisant elle participe à renforcer la valeur du dollar face à l’euro. Donc, elle participe à affaiblir l’euro!!!

Après avoir abandonné l’euro en janvier, elle a réduit la voilure en euros faisant passer ses devises dans cette monnaie de 48% 2013, 46% en 2014 (234 mia) à 42% en mars 2015 (223 mia). Elle a liquidé 11 milliards de francs qui étaient investis à fin 2014 en euros. En 3 mois….

L’effet combiné des achats de dollars, du décrochage de l’euro et de la vente d’euros participe à ce qui se lit très facilement sur le graphique ci-dessous: la dégringolade de la valeur de l’euro face au dollar américain.

• Une politique monétaire qui s’oriente vers le marché des actions

Après avoir lourdement investi dans la zone euro pour son sauvetage, on perçoit une orientation grandissante vers les entreprises à travers l’évolution de son portefeuille actions.

En 2012, 12% des réserves de devises de la BNS étaient placés en actions. Aujourd’hui le ratio est passé à 18%. Compte tenu des volumes en jeu, la BNS est un acteur majeur de la scène du marché de la haute finance internationale. Elle peut par ses choix influencer sensiblement la capitalisation boursière d’une entreprise par rapport à – voire contre – une autre. Dans un monde vorace où l’adage qui prévaut est «eat or be eaten», le comportement de la BNS compte.

La BNS était en mars 2015 à la tête d’un portefeuille actions de 96 milliards (77 à fin 2014). Près de 20 milliards supplémentaires apportés en 3 mois au monde des transnationales!

Présenté autrement, des sommes colossales se déversent dans des choix hautement stratégiques et politiques. On appréciera ainsi l’augmentation de participation de 497 millions dans le capital de Apple en seulement 3 mois!

Toujours en 3 mois, 200 millions supplémentaires ont été investis dans des actions Google types A et C pour lesquelles il n’y a aucun droit de vote! 200 millions supplémentaires sont allés à Exxon Mobil. Etc.

Toutes ces liquidités injectées dans ce marché en si peu de temps correspondent à un dopage qui fausse totalement les valeurs réelles des entreprises et la libre concurrence… Mais voilà, ces entreprises ont besoin de beaucoup de liquidités dans leur conquête de la planète…

Par ailleurs, plus une entreprise est «attractive» au niveau de sa capitalisation boursière et plus cela  contribuera à améliorer son rating / classement auprès des marchés financiers. Un AAA et elle voit s’ouvrir devant elle une autoroute pour accéder entre autres à des emprunts à taux négatifs…

Voici quelques observations qui sautent aux yeux à la lecture du tableau qui correspond au degré de participations et d’investissement de la BNS dans les entreprises citées:

1. 0 entreprise suisse bénéficie du puissant portefeuille de la BNS
2. 19 entreprises sur 20 sont… américaines dont Pepsico, Coca–Cola et McDonalds.
3. 1 entreprise est allemande Merck.
4. La BNS investit de manière importante dans le pétrole exclusivement américain (Exxon Mobil, Chevron).
5. On relève un goût prononcé pour le secteur de la santé (Johnson & Johnson, Procter & Gamble, General Electric, Pfizer, Merck).
6. Last but not least, la BNS investit massivement dans les géants américains de la technologie et des télécommunications… Google est soutenu à hauteur de plus de 500 millions, mais le jackpot est réservé à Apple. 1,1 milliard de franc pour cette dernière, soit un accroissement des actions détenues de 500 millions en 3 mois!!!! L’argent coule à flot dans ce circuit. ne le cherchez pas dans le quotidien de l’économie réelle ou des citoyens.

Les conséquences de la politique monétaire mais aussi de placements des gigantesques réserves que la BNS ne cesse de s’octroyer interpellent fortement.

En pratiquant une politique monétaire contre l’euro, la BNS perd son alibi favori qui lui permettait jusqu’à présent de justifier l’expansion de son bilan.
 Force est de constater qu’elle renforce sa présence sur le marché financier dans des domaines qui n’ont rien à voir avec sa communication et ses énoncés.
La BNS se refuse à soutenir les entreprises suisses en investissant dans leur capital-actions. Ce faisant, elle ne compense en rien l’exode de capitaux d’investissement qui désertent la Suisse au profit entre autres des … Etats-Unis. Ses propres investissements hors de Suisse (présence à Singapour) ne doivent rien arranger…

De par ses choix, la BNS a pris parti pour les transnationales américaines – spécialement des géants technologiques.
Cette prise de position est politique et ne devrait pas relever d’une équipe de quelques personnes non élues, qui dispose du patrimoine cumulé du pays et des citoyens.

Investir 1,1 milliard dans une entreprise comme Apple, c’est contribuer à lui donner accès à des emprunts à taux négatifs pour mieux déployer ses projets qui donnent à réfléchir.

L’évolution du titre de Apple montre qu’il est littéralement boosté depuis janvier 2015 …

A côté de la création de centres de collectes de données personnelles, Apple se lancerait dans le stockage de l’ADN grâce à l’i-phone. Le journal “Les échos” relevait notamment que “Apple développerait une application pour permettre aux chercheurs de collecter plus facilement des données génétiques.”… Un peu effrayant tout de même non?

En misant presque exclusivement sur les transnationales américaines, la BNS participe à la guerre que livre cette industrie au reste du monde – y compris à la Suisse- en lui donnant des armes économiques et financières.

Le cas de Apple, l’ennemi potentiellement mortel de la Swatch est très révélateur. Apple qui menace aujourd’hui l’horlogerie suisse est soutenu par la Banque nationale suisse. On marche sur la tête!
Apple ce géant multiforme n’a le poids qu’il a que grâce aux marchés spéculatifs auxquels appartient la BNS. Cette entreprise est ainsi devenue plus lourde que le PIB de bon nombre de pays, qui lui ne peut être artificiellement dopé…

Bref, la BNS semble tourner le dos à la Suisse mais avec l’argent des suisses!!! Cherchez l’erreur!

Le blog de Liliane Held-Khawam.

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2 commmentaires à “La BNS est fan de Wall Street”

  1. pivoine 25 mai 2015 at 17:14 #

    Excellent !!!!
    Merci d’avoir décodé pour nous béotiens…..Mais que faire?….Si seulement on pouvait ouvrir un compte pour y bloquer nos impôts en attendant que nos politiciens trouvent raison et cohérence.
    Seul consolation vous ne mentionnez pas d’armement….

  2. Held-Khawam 25 mai 2015 at 17:51 #

    Pivoine, je suppose que vous pourriez faire consigner les impôts comme pour n’importe quel paiement pour lequel la prestation promise fait défaut.
    J’ajoute l’excellent commentaire de M Bruno Bertez à cet article: Le Bilan de la BNS traduit organiquement la vassalisation/ouverture de la Suisse…
    http://brunobertez.com/2015/05/25/le-bilan-de-la-bns-traduit-organiquement-la-vassalisationouverture-de-la-suisse/
    Bonne lecture.

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