L’intenable posture de M. Tsipras


Ouf, la Grèce devrait rester dans la zone euro. Un véritable miracle à en croire certains «experts». Pourtant nous l’avions prédit avec une certitude que d’aucuns auraient pu trouver quelque peu péremptoire.

PAR LILIANE HELD-KHAWAM

L’Union européenne n’est rien d’autre qu’un marché unique qui définit et impose ses normes. Oubliez donc tout raisonnement qui traite d’Etat, de Nation, de décision à la majorité, d’impliquer les petites gens, de besoins sociaux, etc.

Le marché unique a vocation à s’agrandir et à unifier le monde par sa privatisation grâce et autour de la finance. Le marché européen est un sous-ensemble du marché mondial. Et un marché doit faire de l’argent. Toujours plus, toujours plus vite. Les faibles et les lents n’y ont pas leur place. La performance du marché dépend encore – mais plus pour très longtemps grâce à la science et la technologie – des performances humaines et se traduit par des normes qui doivent être les mêmes du Nord au Sud de l’Est à l’Ouest de la planète. Elles portent le nom d’homogénéisation, harmonisation, globalisation…

Cela ne suffit pourtant pas. Des mesures de  surveillance et de contrôle doivent être mises en place pour mesurer la performance et le degré d’atteinte des objectifs. Les législations d’un pays, ses spécificités ou pire l’Autorité étatique, doivent s’effacer face aux normes communautaires.

Il est impossible de faire cohabiter les besoins d’une nation et de son peuple avec ceux d’un marché mercantile et vorace.

Pour bien appréhender la tragédie grecque, il faut imaginer une chaîne avec à une extrémité, le peuple grec et à l’autre les patrons de la haute finance internationale qui chapeaute le marché unique et TOUS les processus de sa mondialisation. Au milieu de cette chaîne, on trouve le représentant du peuple grec, M. Tsipras et en face de lui, les représentants du marché, les hauts responsables de l’UE. Dernier détail, cette chaîne n’est pas horizontale, mais verticale avec en haut les tenants du marché unique – de la finance internationale – et en bas le peuple grec.

M. Tsipras a accepté un accord émis par l’Union européenne, daté du 12 juillet 2015. Cet accord est intenable tellement il affirme et confirme la dette et ses coûts d’une part et d’autre part des mesures d’austérité couplées à la privatisation d’à peu près tout ce que l’Etat grec possède.

Si nous faisions la somme de tous les points de l’accord, l’Etat grec serait vidé de toute sa substance très vite. Quant à l’économie du pays, elle serait rapidement exsangue ce qui accroîtrait toujours plus la dette. Ce cercle vicieux démarré en 2008 pourrait atteindre son apogée dans les toutes prochaines années (peut-être mois) jetant le peuple grec dans le tiers-mondisme.

En clair, dette-austérité-privatisation est le trio infernal installé sur une spirale dramatique pour le citoyen local. Il est à noter que ce même trio est synonyme au même moment de croissance et de prospérité pour la finance internationale. Il pourrait même y avoir un effet multiplicateur de richesses grâce aux effets de levier dont seuls les spéculateurs ont le secret…

Nous rappelons pour mémoire que nous contestons absolument le principe de la dette publique soumise à un marché financier privé, à l’absorption par ledit marché de la banque centrale du pays, à la création monétaire déléguée à des institutions privées, au sauvetage de banques commerciales malfaisantes sans conditions avec l’argent public, sans nationalisation et sans sanctions envers leurs prédateurs.

Ceci étant nous avons extrait une dizaine de points qui montrent à quel point cet accord du 13 juillet 2015 ne fait qu’annihiler l’autorité des représentants de l’Etat, soumettre la législation à des directives qui sont autant d’ordres de marche (forcée) et ramenant à zéro le patrimoine et ce qui crée des revenus publics. Il est à remarquer que ce qui est demandé là n’est pas si différent de ce que d’autres pays font depuis des années, à savoir, travailler d’arrache-pied pour évacuer la notion de la chose publique et pour privatiser patrimoine et services publics.

Il ne faut pas se leurrer, le projet européen est un projet d’intégration transversale des États dont le «core business» (coeur de cible) est financier et privé, organisé en une myriade de sociétés  anonymes. D’ailleurs, l’intégration trans et supranationale financière entre en vigueur actuellement via une plateforme de transactions qui porte le nom de T2S. La Banque de France note ceci:

«à laquelle les dépositaires centraux de titres (CSDs) vont confier la gestion de leur activité de règlement- livraison de titres en monnaie banque centrale et selon des modalités harmonisées. (…) La mise en production officielle de T2S est prévue en juin 2015 (…).»

L’accord admis lundi par M. Tsipras qui attend d’être approuvé par les autorités grecs signerait la mort de la Grèce en tant qu’Etat. Dans tout ce processus de négociation, la démocratie en sort passablement mise à mal. D’une part, l’UE se substitue au législateur grec en entrant dans les moindres détails de l’organisation du quotidien du pays ce qui rend les députés inutiles. De l’autre côté.  M. Tsipras a lui aussi malmené la démocratie de son pays au moins deux fois avec de lourdes conséquences.

Le premier coup porte atteinte à la démocratie dans la mesure où le programme électoral de M. Tsipras est aux antipodes non pas de ce qui est sur la table aujourd’hui mais du programme qu’IL a proposé fin juin à Bruxelles. Le deuxième concerne le référendum du 5 juillet 2015 qui n’a à aucun moment été suivi d’effets. Celui-ci était donc inutile et peut être considéré comme le gaspillage d’un important outil de la démocratie. Plus important est le fait que ce référendum a fait croire que M. Tsipras serait le David qui terrasserait Goliath. Las, non seulement il n’a terrassé personne mais en plus il a irrité toutes les parties en présence emportant en même temps les espoirs de la jeunesse grecque mais européenne qui a cru en lui.

Enfin, sans vouloir juger M. Tsipras, on peut évaluer ses capacités de négociateur dans la mesure où depuis le début il n’a cessé de rassurer les européens en leur garantissant qu’il ne quitterait pas la zone euro. Dès lors, il s’est piégé tout seul et ses partenaires de négociations avaient beau jeu de lui imposer leurs conditions.

Beaucoup de questions se posent à ce stade. Comment ne s’est-il pas rendu compte qu’en face de lui, les créanciers risquaient très gros devant assumer des pertes potentiellement colossales? Ne s’est-il pas rendu compte qu’il aurait pu y avoir un effet domino si la Grèce faisait défaut et/ou qu’elle quittait l’euro? La construction monétaire et financière européenne s’est faite dans le cadre d’une construction systémique mortelle pour la zone en cas de retrait et/ou de défaillance d’un de ses membres…

La question est ouverte quant aux réelles compétences de M. Tsipras en matière de négociation. A notre avis, il tenait le couteau par le manche et pour une raison ou une autre, il n’en a pas fait usage.

A l’heure actuelle, M. Tsipras est dans une situation intenable et l’accord qu’il ramène à son électorat est pire que tout parce qu’il garantit plutôt tôt que tard une nouvelle impasse plus grave que l’actuelle. De plus, il ne faut surtout pas oublier que le marché financier travaille à supprimer le cash qui aura été la seule bouffée d’oxygène face à des adversaires (mieux que partenaires) impitoyables… Que se passerait-il dans un an ou deux avec des créanciers qui auraient verrouillé 100% de l’approvisionnement monétaire???

La seule solution qui  reste à ce stade à M. Tsipras serait un départ. Ca ne peut en aucun cas être pire qu’aujourd’hui… Il doit bien ça à ceux qui ont cru en lui.

Lire l’article complet sur le blog de Liliane Held-Khawam.

 

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3 commmentaires à “L’intenable posture de M. Tsipras”

  1. Christian Campiche 16 juillet 2015 at 07:15 #

    Oui, Tsipras ferait mieux de démissionner maintenant que le parlement grec a voté la reddition. Washington, Bruxelles et le FMI doivent bien rigoler: non seulement ils réduisent la Grèce à l’état de protectorat mais encore ils provoquent l’éclatement de Syriza, le mouvement légitimé par les urnes censé incarner la résistance aux privatisations. Le pays est-il gouvernable, si ce n’est par Goldman Sachs, Bouygues et General Electric?

  2. Held-Khawam 16 juillet 2015 at 11:17 #

    Christian, voici un article du Temps très éloquent http://www.letemps.ch/Page/Uuid/acb4e186-24da-11e5-9a9f-be4265bf5f16/Les_banques_ne_sont_pas_les_seules_gagnantes_de_la_crise_grecque… Extraits: “A qui les 325 milliards d’euros d’aide à la Grèce ont-ils le plus profité? «Seuls 10% sont allés jusqu’aux citoyens, mais 90% sont restés aux mains des intermédiaires financiers», affirme Yanis Varoufakis. Nombreux sont ceux qui contredisent le ministre grec des Finances sortant. C’est le cas de Hans-Werner Sinn, président de l’institut IFO, à Munich. Celui-ci propose de considérer l’augmentation de la consommation grecque par rapport au revenu national net. Elle est passée de 95% aux débuts de l’euro à 110% avant la crise financière et 113,7% aujourd’hui. «C’est le plus haut niveau de la zone euro, explique-t-il dans une étude. Les citoyens grecs ont financé l’augmentation de la consommation par la dette.»”
    (…)
    “Les grandes banques commerciales sont également sur la liste des gagnants dans le sens où leurs engagements ont été transférés aux organismes supranationaux et aux Etats, donc vers les contribuables, explique le site Zerohedge. Selon Barclays, le risque grec des banques allemandes est tombé de 45 à 13,51 milliards de dollars depuis 2009. Celui des banques françaises de 78,8 à 1,8 milliard (voir le graphe).”
    (…)
    “A l’inverse, plusieurs hedge funds ont parié sur un sauvetage de la Grèce, à l’image d’Emerging Sovereign (Carlysle Group), devenu le deuxième actionnaire de la National Bank of Greece, à fin mars. Ou de Third Point, l’un des plus grands hedge funds, qui a lancé un Hellenic Recovery Fund en 2013. Lansdowne Partners enfin est devenu le deuxième actionnaire de l’opérateur du port du Pirée, mais il aurait réduit sa participation de moitié, selon Bloomberg.”

  3. Christian Campiche 16 juillet 2015 at 14:58 #

    Les termes de l’accord sur le blog de Liliane Held-Khawam:
    https://lilianeheldkhawam.wordpress.com/2015/07/16/texte-de-l-accord-europeen-sur-la-grece/

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