Ces médias qui abandonnent le commentaire au consommateur


Circulez, y’a plus rien à voir.

PAR BERNARD WALTER

Il y en a tellement, des horreurs, chaque jour faisant suite au précédent, que de la répétition naît l’ennui, donc il ne se passe plus rien, les victimes s’ajoutent aux victimes, mais elles ne comptent plus. Comme pour un match de foot, après 4 à 0, on peut aller jusqu’à 8-0, 13-0, 20-0, ça ne change rien, le match n’a plus d’intérêt. Le petit garçon mort sur la plage, c’est, grâce à un bon photographe, devenu d’une seconde à l’autre quasi un “people” (alors que déjà, quand même, les victimes de ces gigantesques mouvements de population s’étaient comptées par dizaines de milliers).

Maintenant, le sujet a été traité, il est temps pour nos médias de passer à autre chose.

Cette surenchère dans la brutalité, l’inhumanité, la criminalité mondiale, le piétinement des droits de l’homme a cet avantage, pour les régimes totalitaires que sans doute partout dans le monde nous subissons, de pouvoir mettre la vitesse supérieure, massacrer encore plus, sans que plus rien ne se passe.

Ce n’est que quand quelques «fous de dieu» viennent semer le trouble dans nos pays que, tout d’un coup, se multiplient les indignations vertueuses, les appels à la civilisation et aux droits de l’homme contre la barbarie. Et alors là, on a droit à de la médiatisation continue, plus une session de nouvelles sur les postes français sans qu’on n’ait droit aux images d’opérations de police, d’arrestations et aux curriculum vitae de quelques terroristes, toujours les mêmes, parce qu’on n’en a pas d’autres sous la main.

Et hier, des «migrants» (je pense toujours quant à moi que ce sont des réfugiés, mais en fait les gens de pouvoir devraient changer leur code de langage et les appeler des «riens», à voir comme ils se comportent à leur endroit) ont tenté de passer les barbelés séparant la Grèce de la Macédoine. On voit d’un côté des barbelés les démunis, qui à chaque pas glissent dans la boue dans laquelle ils vivent en permanence, et de l’autre, des policiers ou des soldats qui visent des gens sans défense. Le bilan avoué: 260 blessés, tous âges confondus.

Dans les médias, on passe sur la chose comme chat sur braise. Le «sujet» a été exposé sur la TSR, d’une façon plus ou moins neutre. Demain, on n’en aura sans doute déjà plus trace. C’est un non-événement.

Et de commentaires, les médias ne nous en donnent pas. Si l’on veut avoir des avis sur la question, on peut en trouver au bas des articles de nos journaux publiés sur internet. Beaucoup de ces commentaires vont dans un même sens.

Par exemple:

«Faut pas forcer les grillages. C’est tout. Première leçon de vie en Occident.»

«Il y a des règles et elles doivent être respectées. Si l’on n’est pas d’accord, on milite pour un changement de ces règles, mais tant qu’elles sont en vigueur, elles doivent être appliquées sans faiblesse sous peine d’être débordés et sans solution.» (Parce que ce qui se passe est une solution, Ndlr)

«Nos parents, nos grand-parents, ils n’ont pas fui, ils se sont battus, et les femmes ont aidé dans ces guerres.»

«C’est incroyable de voir ces migrants se battre pour passer la frontière. Et dire qu’ils ont quitté leur pays par peur de la guerre. Ils se disent prêts à mourir pour passer!!! mais pas pour défendre leur pays…»

«La Macédoine est un état souverain, ce qui implique qu’elle accepte sur son territoire qui elle veut. Si l’Allemagne veut des “migrants”, elle peut aller les chercher en avion.»

«Soit l’Europe accepte de recevoir ces réfugiés, soit elle les refuse et, dans ce cas, il faut les rapatrier chez eux.» (Ça c’est vrai, c’est une solution simple. Pourquoi les Européens ne le font-ils pas? Ndlr)

Et ainsi de suite.

Ce qui frappe dans ces commentaires, c’est l’incroyable ignorance du contexte par leurs auteurs.

L’ignorance de la genèse de ce phénomène d’une telle ampleur, l’absence d’un minimum d’imagination pour reconstruire un tout petit peu le périple de ces réfugiés et de ce qu’ils endurent, l’absence du minimum de conscience que ces réfugiés appartiennent à la même espèce qu’eux, l’espèce «humaine».

Quelle part de responsabilité ont les médias dans tant d’égoïsme et d’ignorance? Ces médias qui présentent des éléments concrets choisis et des images, et qui abandonnent le commentaire au consommateur.

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2 commmentaires à “Ces médias qui abandonnent le commentaire au consommateur”

  1. Bernard Walter 12 avril 2016 at 15:21 #

    Eh bien oui, même Le Courrier, journal indépendant avec son slogan “L’essentiel autrement” est aujourd’hui aligné. Sous une rubrique “Regard direct”, en page 2, il reproduit une dépêche de l’ATS, en majuscules: “RETOUR AU CALME A IDOMENI”.
    Mais:au calme pour QUI ?
    Et puis, en p.9 suit le développement, sous forme d’un long article repris du journal “Libération” : “La crise a révélé les vieux contentieux territoriaux entre Athènes et ses voisins”.
    Incidemment, il est question des “migrants” (ce terme inventé pour extirper ce que cette situation a d’insupportable est utilisé sans guillemets, évidemment) et de “crise des migrants” Mais il n’est fait allusion à cette “crise” que pour expliquer les difficultés relationnelles entre Grèce, Macédoine et Turquie.
    Pas un mot de douleur et de compassion pour les victimes, pas un mot d’indignation en face de cette affreuse farce mondiale que jouent depuis des années les gendarmes du monde occidentaux. De la part de tous, l’indifférence.

  2. Christian Campiche 13 avril 2016 at 15:48 #

    Il n’y a pas que le commentaire qui est abandonné au “consommateur”. L’information brute l’est aussi d’une certaine manière. Quand elle n’est pas manipulée. Une dépêche bien anxiogène l’autre jour sur Indomeni, pour quel suivi? Que sais-je aujourd’hui de la situation réelle sur place? Que sais-je des drames qui se jouent ailleurs dans le monde? Des journalistes et militants environnementaux ou syndicaux assassinés en Amérique centrale et latine. Par contre, grâce au tabloïd, je n’ignore plus rien de la cravate du politicien local ou de l’animateur télé. Je conseille d’aller voir le film “Truth”. Très américain dans le style mais il en dit long sur la censure exercée sur les médias, en l’occurrence celle qui bâillonna la cellule d’investigation de CBS en 2004, quelques jours avant la réelection de Bush.

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