Ali, l’envers de la légende


«Un champion d’exception»

PAR MARC SCHINDLER

«Une vie exceptionnelle», «une alliance de beauté et de grâce, de vitesse et de force qui ne sera peut-être jamais égalé», «The Greatest», «un homme plus grand que sa légende», «jamais le nègre de l’homme blanc», «le meilleur athlète du XXe siècle, l’un des plus célèbres Américains de ce temps». Jamais peut-être un sportif n’a reçu, à sa mort, un tel déluge d’hommages. Mohamed Ali, qui vient de mourir à 74 ans, a été célébré non seulement par le monde sportif, mais par ses millions de fans, par toute l’Amérique et même par le président des Etats-Unis.

Un hommage planétaire à une icône. Tous unanimes, ses anciens adversaires, les candidats à la Maison Blanche Hillary Clinton, Donald Trump et Bernie Sanders, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, en passant par Madonna, le rappeur Snoop Dogg, Karim Benzema et j’en oublie. Alors que Mohamed Ali avait quitté les rings et qu’il luttait depuis 32 ans contre la maladie de Parkinson. Dans un vibrant hommage, Barack Obama a affirmé: «Mohamed Ali a secoué le monde… il a été aux côtés de Martin Luther King et de Nelson Mandela, il s’est élevé quand c’était difficile, il a parlé quand d’autres ne le faisaient pas…Mohamed Ali était The Greatest. Point final». L’ancien président Bill Clinton prononcera son éloge funèbre.

C’est vrai, comme des millions de spectateurs, j’ai été fasciné par les images de ses combats: un colosse noir qui dansait autour de son adversaire, avant de le foudroyer et qui proclamait: «Je vole comme un papillon, je pique comme une abeille». Un champion fort en gueule qui hypnotisait le public par ses provocations et ses coups d’éclat. Un militant politique qui s’était converti à l’islam, qui avait refusé de se battre au Vietnam et qui avait été déchu de son titre avant de remonter sur le ring, après une traversée du désert de trois ans. Un homme brisé par la maladie qui déclarait en 1987: «Il (Dieu) m’a donné la maladie de Parkinson pour me montrer que je n’étais qu’un homme comme les autres, que j’avais des faiblesses, comme tout le monde. C’est tout ce que je suis: un homme».

Mohamed Ali est devenu une icône du sport, de l’opposition à la guerre du Vietnam et de la lutte des Noirs pour l’égalité. Et si la réalité était un peu plus complexe? C’est ce qu‘explique, dans le “Washington Times”, Gerald Early, essayiste et critique de la culture américaine, professeur à l’Université Washington à St Louis, auteur de The Muhammad Ali Reader, en 1988.

Dans une chronique intitulée: «Trois faits essentiels pour comprendre Mohamed Ali», le professeur noir affirme que Ali n’était pas un avocat des droits civils pour les Noirs. La Nation de l’Islam qu’il avait rejointe en 1964 était un groupe séparatiste opposé au mouvement des droits civils. Il écrit: «Ne prenez pas la vigoureuse dénonciation de l’injustice raciale d’Ali pour du militantisme. C’était sa défense de l’orthodoxie de sa religion (l’islam)». Secondement, toujours selon Gerald Early, Ali était conscient de son manque d’éducation, malgré sa verve. Il avait échoué aux tests de l’armée et avait été déclaré incapable de faire son service militaire. Lors d’une fameuse interview, Mohamed Ali avait déclaré: «Je n’ai pas de problème avec les Vietcongs. Les Vietcongs sont des Asiatiques noirs. (…) Je ne veux pas avoir à combattre des Noirs». Le professeur Early en fait une toute autre lecture: « En fait, l’opposition de Ali à la guerre du Vietnam était plus une réaction de panique qu’une protestation politique informée. Il ne connaissait rien à la politique de la guerre… c’était juste une réaction choquée aux reporters à propos de son refus de recrutement».

Enfin, Ali se voyait comme comme l’anti-Joe Louis, le boxeur noir qui était devenu un symbole de la démocratie et du patriotisme durant la Seconde guerre mondiale. Ali avait cruellement et injustement critiqué ses adversaires noirs, notamment Joe Frazier, qu’il avait traité d’Oncle Tom, le Noir qui cherche les faveurs du Blanc. Pour Gerald Early, «Ali avait peu d’options pour intéresser le public à un combat entre deux Noirs sinon politiser ses combats. Cette politisation servait aussi à célébrer et à défendre sa nouvelle conscience politique d’être un homme noir».

Mohamed Ali avait certainement une formidable volonté de gagner, il était prêt à défendre ses idées contre toute opposition et il acceptait ses faiblesses. De là à en faire un mythe de notre époque et une légende morale!

Face à toute mythologie, je n’oublie jamais la fameuse réplique du western de John Ford «L’homme qui tua Liberty Valence», quand le journaliste déclare: «A l’Ouest, quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende».

Tags: , , , , ,

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.