Verdun, creuset de l’Europe


Pourquoi les lointains descendants d’une même famille se sont-ils entretués pendant des années dans ce coin perdu d’Europe?

PAR ALBERT EBASQUE

Plus de mille ans après le Traité de Verdun de 843 qui partageait l’Empire carolingien entre les trois petits-fils de Charlemagne, un conflit long de cinquante mois fit neuf millions de morts et vingt millions de blessés. Un siècle plus tard, la région porte encore les stigmates de cette terrible confrontation entre Français et Allemands. De très nombreuses familles ont perdu un ou plusieurs de leurs membres dans cette effroyable boucherie où la moyenne d’âge des soldats était de vingt-cinq ans.

Comment en est-on arrivé là? La plupart des historiens s’accordent à dire que les Traités de Westphalie de 1648 ayant consacré le concept d’Etat-nation, le Congrès de Vienne de 1815 redessina une nouvelle carte de l’Europe où la restauration de la royauté contribua à un réveil du sentiment national. Car l’éclatement de grands empires en des dizaines de pays indépendants et sans contrat social redonnait une certaine vigueur aux mouvements nationalistes dont de grandes alliances géopolitiques ne purent endiguer le flot des aspirations. Et c’est ainsi que pendant près de quatre-vingts ans, soit de 1870 à 1945, Français et Allemands se battirent à trois reprises comme des frères ennemis, chaque fois pour des raisons différentes. Des frères ayant au début du XXème siècle peu d’intérêts en commun et se faisant concurrence sur les marchés coloniaux d’Afrique et au Proche-Orient où l’empire ottoman étendait encore sa vaste toile.

La bataille de Verdun, dont les cérémonies du centenaire viennent de se dérouler en présence de la chancelière allemande et du président français, fut le point d’orgue de cette confrontation bilatérale. Elle dura dix mois, de février à décembre 1916, aura tué environ 150 000 hommes et blessé ou rendu invalides à peu près le même nombre. Cinquante millions d’obus ont dévasté pour longtemps les quelque dizaines de kilomètres carrés de ce coin de France. L’artillerie étant responsable des pertes humaines à hauteur de 80%, les généraux Pétain puis Nivelle n’avaient pas d’états d’âme pour envoyer les fantassins au casse-pipe. Et les récalcitrants, déserteurs ou responsables de mutineries étaient cruellement sanctionnés. Bref, l’horreur absolue pour ces jeunes paysans, ouvriers, étudiants ou instituteurs qui montaient à l’assaut la peur au ventre en sachant que leurs chances de survie étaient infimes.

Cent ans exactement après cet épouvantable carnage unique dans l’histoire de l’humanité, le couple franco-allemand est plus que jamais au cœur de l’Europe du XXIème siècle. Cet heureux rapprochement initié par le chancelier Adenauer et le président De Gaulle en 1963 avec le Traité de l’Elysée fut symboliquement confirmé à plusieurs reprises, et de nos jours plus personne ne remet en question les liens unissant les deux pays. Ainsi, les nouvelles générations sont-elles maintenant amenées à vivre ensemble, à mieux se connaître et à coopérer afin de ne pas retomber dans les terribles erreurs du passé. L’Union Européenne, dont le modèle commence à s’essouffler, pourrait d’ailleurs s’appuyer sur ce binôme pour bâtir une nouvelle étape de développement. Ce «noyau dur» permettrait peut-être de redéfinir de nouvelles règles de convergence en matière fiscale et budgétaire afin d’aboutir à une véritable intégration des politiques publiques… et plus si affinités.

La bataille de Verdun reste donc une marque indélébile dans l’identité européenne. Et même si dans les années trente un autre type de folie collective s’empara du peuple allemand, plus rien ne pourra entamer la solidité des liens qui nous unissent. Seules resteront pour toujours les milliers de croix blanches des cimetières visités par les jeunes générations. Mais sans doute ces dernières sont-elles plus intéressées par la messagerie de leur téléphone portable que par la tragédie s’étant produite il y a un siècle à cet endroit. Si tel est le cas, ne les en blâmons pas car ces jeunes qui ont fait le déplacement auront certainement compris la terrible leçon du passé.

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