Lettre de Paris à un ami lecteur – Avenue de Flandre, la jungle des réfugiés


Ma lettre sera courte, cette fois. Enfin, un peu plus courte.

PAR PIERRE ROTTET

Je reviens de Paris, où j’y ai passé quelques jours, à flâner, à ouvrir les yeux. A observer et vivre au milieu des gens. Dans la rue.

Comme toi, j’ai vu des images TV de la « jungle de Calais ». Aux alentours de laquelle se rendent les politicards professionnels de la vie politique française. Les diplômés des Hautes Ecoles. La théorie bien installée dans les têtes. Les mains aussi blanches que le jour de leur naissance.

Je dis bien aux alentours de ladite « jungle ». Pas à l’intérieur sauf exception – trop dure, cette réalité, cette confrontation avec le quotidien de ces gens. A l’intérieur de ce camp? Tu parles. Pas question! Par peur de ne pas être confrontés aux conséquences de leurs décisions politiques erronées et désastreuses en Afrique et aux Proche-Orient ces dernières années.

Une « jungle de Calais », mais le savais-tu seulement, bien visible également à Paris, tout au long de l’avenue de Flandre, une des principales artères du 19ᵉ populaire et populeux arrondissement de Paris. De mauvaise réputation… Avec une populace brassée, entremêlée, clivée, dans des HLM largement subventionnés pour certains. Pour beaucoup, sauf pour ceux qui payent plein pot le prix exorbitant des loyers à Paris. Bref, la France du 19e, pas du 16e donc, tu l’as compris, où cohabite le mélange des genres, saupoudrée de Maghreb, d’Afrique et même, oui même d’Asie. Certes moins visible.
L’avenue de Flandre, disais-je, se situe géographiquement en parallèle ou presque avec l’Avenue Jaures, à un jet de bateau mouche du canal de la Villette. Avenues qui entourent en leur début, si j’ose ce raccourci, la Rotonde de la Villette.

D’accord, rien à voir avec les quelque 10000 personnes entassées à Calais. Combien sont-ils tout au long de l’avenue de Flandre, sur le terre-plein du milieu de la chaussée, ou tout au long du large trottoir qui mène à l’angle du bâtiment hideux du Centre de santé Stalingrad, dont l’architecture, le gris, la tristesse à f… des nausées au bon goût, n’ont rien à envier aux horreurs architecturales sous le régime de l’Union Soviétique…?

Combien sont-ils? 200, 300, 500? Impossible à évaluer. J’avoue ne pas avoir compté. Il y a quelques semaines, des centaines de migrants avaient pourtant été délogés. Aujourd’hui, hormis un ou deux enfants en bas âge, deux ou trois femmes, quelques visages aux origines incertaines, de Syrie peut-être, de Libye, d’Irak ou de l’Afghanistan, tous, tu m’entend, tous sont porteurs du soleil africain.

Tu l’as compris, des réfugiés, des victimes qui rêvaient d’Eldorado. De papiers! Des victimes disais-je, de pouvoirs qui jouissent de la complaisance des gouvernements occidentaux. De la France, bien entendu. Bref, de gens qui ont fui les guerres enquillées par les deux derniers pensionnaires de l’Elysée. Des citoyens d’un autre monde, étrangers aux bénéfices de l’exploitation des richesses d’une terre d’Afrique pillée par les multinationales, protégées par des gouvernements au nom des intérêts d’Etat. Pillées par des aigrefins qui se servent sans que les populaces indigènes puissent ne serait-ce que ramasser les miettes. Des sociétés multinationales qui n’omettent toutefois surtout pas de graisser les sales pattes de dirigeants politiques locaux, de marionnettes soutenues à la convenance de l’Europe, des Etats-Unis, de la Chine…

Du matin au soir, du soir au matin, ils sont là. Désœuvrés. A glander. Ils ont fait de l’attente leur leitmotiv. Avec, pour certains, histoire de tuer le temps, un portable qui les relie à dieu sait quoi, à dieu sait qui? Et où? Des tentes individuelles, je veux croire, parce qu’intenables à deux… même si personne n’affiche ne serait-ce qu’un embonpoint naissant. Ces tentes ont été dressées entre les deux routes de l’avenue.
Sous le soleil de cette fin septembre à Paris, elles apparaissent bariolées. Seule touche de couleurs gaies, si tu me passes l’expression dans ce décor surréaliste. D’autres, la majorité, les moins chanceux devrais-je écrire, dorment entassés sur des matelas de fortune. L’oeil à peine fermé pour se donner l’illusion de dormir. L’illusion d’oublier. D’autres encore, les moins bien lotis, si je puis, se contentent de carton. Voire du bitume, faute de carton…

Le bitume et le regard des passants sont leurs nouveaux paysages. Des regards apitoyés pour certains, condescendants pour d’autres, indifférents, réprobateurs aussi, voir carrément hostiles. Dans les habitacles des voitures, les têtes se tournent en direction de ce monde. Des solidarités s’organisent. Avec les moyens du bord. Aux alentours de la Rotonde de la Villette, côté Flandre, 5 à 6 urinoirs à ciel ouvert ont été placés, pour un unique WC. Un vrai! Plus conforme, selon.

Adossé au canal de la Villette, un coin vert en pente regarde l’immense place de ladite Rotonde. Sur de larges escaliers, un peu comme les tribunes d’un théâtre, d’une salle de spectacle. Une centaine de personnes, toutes d’origine africaine, à l’exception de deux ou trois têtes blanches, rares, suivent des cours élémentaires de français. Entre onze heures et midi, et même davantage, deux à trois jeunes filles, chacune à l’aide d’un tableau improvisé, bénévoles, j’imagine, dictent un enseignement de base, à coup de mots et de phrases inlassablement répétés avec application par l’assistance.

Les plus avancés d’un côté, et ainsi au fil des espaces et des escaliers décalés pour ceux qui le sont moins, les venus récents peut-être, pour, en fonction du « degré, des ba-ba répétés avec insistance par un public dont ce sera, l’espace de la classe, l’unique activité de la matinée. Une classe répétée en fin d’après-midi, pour des élèves trois à quatre fois plus nombreux, tout aussi attentifs aux enseignements dispensés par les jeunes profs sans doute issus d’ONG de la région parisienne.
Il y avait aussi un homme, désigné volontaire par ses compagnons d’infortunes? Va savoir. Toujours est-il qu’il poussait devant lui un cadix. Un cadix de supermarché remplit de cartons pliés, pour en faire profiter, j’imagine, les nouveaux arrivants. C’est plus facile à trimbaler que des matelas même crasseux lorsqu’on en possède un, et surtout moins encombrants et tellement moins lourds. Ironie: un magasin du coin en vendait, de ces matelas. Et même avec des prix en promo. Une belle jambe, n’est-ce pas!

Vers 13 heures, traversant la Place de la Rotonde, des gars poussaient un chariot. Une cargaison chargée de casseroles. La tortore de midi. Dans un coin de la rue, un de ces gars a distribué ce qui devait être des tickets. Des bouts de papier, histoire de donner accès à la pitance. J’ai vu cette populace africaine se mettre en rang, à la queue-leu-leu pour toucher leur repas. Un peu plus loin, à une encablure de la Gare du Nord, vers Barbes, un autre attroupement s’était formé. En ligne disciplinée pour la bouffe. Le même schéma qu’à Flandre, somme toute, mais pour des mecs venus d’ailleurs. Accourus d’autres guerres. De l’Afghanistan à la Libye. De l’Irak à la Syrie. Tu connais.

Depuis l’heure et le temps que s’abattent les bombes sur ces pays.
Tu vois, j’ai longuement observé ce monde vivre. Et même, oui même, de prendre le temps d’être le témoin d’une anecdote rocambolesque. C’était une fin après-midi ensoleillée, soif oblige, j’étais posé avec une bière à la petite table de la terrasse du café. Trois jeunes étudiants refaisaient le monde, deux gars et une nana. Un billet et de la monnaie traînaient sur leur table. Le prix des consommations, certes, mais aussi une tentation, une aubaine, pour un jeune africain qui passait par là. Avec la dextérité du prestidigitateur, en une fraction de seconde, le billet était passé de la table à sa main.

Tu me croiras, la jeune fille s’est immédiatement mise à poursuivre l’auteur du larcin. Le rattrapant, en même temps qu’un compatriote du voleur noir. Histoire de l’enjoindre à rendre le fric dérobé. Pas de vagues inutiles… Surtout pas. Comme une odeur de mot d’ordre au sein de ces migrants. Pas besoin de fournir, si besoin était, des prétextes aux spectateurs de ce fait divers d’alourdir encore les urnes de Marine Le Pen. La fille est revenue à la table, avec à la main le billet escamoté un peu plus tôt, rejoignant les deux gars. Qui n’avaient, eux, pas bougé un oeil pour aider leur compagne. T’as parlé de lâcheté de la part des copains de la fille? Ouais! Je partage ton avis. Et crois-moi, cela m’a interpellé. Bien plus que l’acte du voleur à la tire.

Voilà. Dans une prochaine lettre, qui sera écrite comme celle-ci de Paris, et non du Pérou, je te raconterai l’histoire d’une école maternelle. Comme tant d’autres! Quoique! Car peuplée de tellement de bambins de familles issus de l’immigration, récente ou pas, venus de tous les ailleurs du monde où traîne trop de misère pour la supporter. Une école aux murs de laquelle défilent des prénoms du monde entier ou presque. Avec des enseignantes qui luttent contre l’ignorance. Une maternelle placée entre une mosquée, une paroisse catholique, un centre culturel juif, des magasins casher ou hallal. Des coins d’Afrique ou du Maghreb. Du Sud de l’Europe. D’Asie. Un sacré pied de nez à une certaine société. Mais c’est là une autre histoire. Que je te narrerai.

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