Sansonnens, Maret, Massard, une relève prometteuse et une sortie de l’oubli


Les Editions de L’Aire publient deux jeunes auteurs.

PAR PIERRE JEANNERET

Après Jours adverses, son premier roman, Les ordres de grandeur révèle chez Julien Sansonnens un véritable talent littéraire. Nous n’en dévoilerons pas l’intrigue, qui tient du polar et par moments du thriller. Le livre pourfend aussi l’univers des médias, notamment télévisés, ainsi que le monde des partis politiques, dont l’auteur offre une vision assez pessimiste: ce n’est qu’ambition débordante, trahisons à l’interne, absence de tout idéal, choix de thèmes censés plaire au grand public, même en flattant ses plus bas instincts. On admirera la connaissance qu’a Julien Sansonnens du parler, des vêtements et des rites sociaux d’une certaine «élite» qui se retrouve dans les cocktails mondains, dont il fait une description d’une décapante ironie. Le lecteur assiste par ailleurs à une campagne d’accusations de pédophilie parfaitement orchestrée et répercutée par les fameux réseaux sociaux dont on sait les capacités de nuisance. Construit avec subtilité, le livre constitue une sorte de puzzle, dont peu à peu, et de manière parfaitement crédible, les pièces se mettent en place. Il se déroule en des lieux et à des époques différents, dont le lecteur va percevoir les liens. L’auteur dispose d’un bel éventail linguistique, adoptant des styles et des parlers différents selon les milieux sociaux et les classes d’âge. Un bon roman, ample, bien mené et non dénué d’émotion.

Arnaud Maret en est lui aussi à son deuxième roman. Celui-ci, Rusalka, présente quelque analogie avec l’œuvre présentée ci-dessus. Il tient aussi du polar, mais avec une composante historico-politique. Tout commence par la découverte d’un cadavre mutilé déposé au faîte d’un barrage. Le narrateur, l’inspecteur valaisan Valérien de Roten, va être conduit par les circonstances à pousser ses recherches – qui touchent aussi à sa vie intime – à Prague. Bon connaisseur des villes habsbourgeoises d’Europe centrale, l’auteur dresse un très beau portrait de la ville magique du Golem et de Kafka qui, plus qu’un décor, apparaît comme un véritable personnage du roman. Des fils relient le présent aux heures noires de la dictature communiste en Tchécoslovaquie. Voilà un beau roman, écrit dans une langue classique et élégante, voire musicale, où le réel se confond parfois avec l’imaginaire : Rusalka est le personnage féminin central d’une vieille légende tchèque, dont Dvorák a tiré un opéra.

On constate donc une relève prometteuse chez les auteurs de ce pays.

Le troisième livre que nous aimerions présenter ici est un petit bijou, publié par les Editions d’en bas. Il ne s’agit pas de l’œuvre d’un novice. Janine Massard, à qui l’on doit notamment La petite monnaie des jours (1985), est l’une des valeurs sûres de la littérature romande. Or De seconde classe, dont il est question ici, fut son premier opus, écrit en 1972, publié en France en 1978, mais qui ne trouva alors aucun écho. Heureuse initiative que celle de le tirer de l’oubli. L’auteure, à travers un narrateur masculin qui tutoie un interlocuteur lambda, y relate ses voyages «sac au dos» en train entre 1963 et 1967. Nous voilà donc replongés dans une époque où l’avion était inaccessible aux routards, où le chemin de fer était un moyen de transport privilégié, et où l’absence du téléphone portable comme d’Internet faisait encore du voyage une petite aventure. Par son rythme, le récit rappelle le «takataka, takataka» du train. Plus qu’aux paysages, au demeurant monotones, l’auteure s’attache aux rencontres humaines opérées dans l’atmosphère de tabac, de sueur humaine et de «crasse moite» des wagons …de seconde classe. De beaux moments d’humanité, et parfois de fraternité.

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