Asli Erdogan, Outre monde


C’était la première fois que la réflexion et le travail artistique m’amenait à lire une auteure emprisonnée pour ses idées.

PAR SIMA DAKKUS RASSOUL

Le grand danger serait d’assimiler sa littérature à une forme de protestsong. Tous les lecteurs et les lectrices ont sans doute ressenti la beauté de ses mots. Et cette soif de découvrir pour le personnage, sous les gravats de l’Histoire, de la lumière et des raisons d’espoir.

En lisant Asli Erdogan en public plusieurs fois, je faisais deux expériences, l’une personnelle et intérieure et l’autre collective.

Je pensais ses mots en les lisant à haute voix. Une grande librairie lausannoise dans un coin, avec une affiche portant l’insigne d’Amnistie Internationale et la bougie que l’on allumait à cet instant-là.

Cet acte pour faire exister son oeuvre a eu pour moi un effet de méditation sur notre monde, son attitude et l’autre monde qui forme un tout avec le nôtre.

L’aventure collective a comporté deux facettes. La première: sentir que nous étions nombreux à prêter notre voix au Bâtiment de pierre d’Asli Erdogan. La sensation de la présence de ces autres lecteurs allait bien au-delà du symbolique à mes yeux.

La seconde facette: la leçon du spectacle dit vivant est que le jeu – ici de la lecture – doit avoir lieu pour un public, mais sans des attentes qui se vérifient ou non au moment où on lit. Dès lors, les personnes qui sont venues m’écouter, des artistes, des amis, ou qui se sont arrêtées étant là par hasard amenaient leur énergie propre et la conjuguaient à la mienne. Du monde de la littérature qui m’enveloppait avec ce livre entre mes mains, mes yeux qui parcouraient les mots, les lignes, les pages… j’étais dans le monde merveilleux de la littérature. J’étais dans un rituel d’incantations pour que la prison pour délit d’opinion disparaisse à jamais de la surface de cette terre douloureuse et merveilleuse à la fois. Les personnes qui faisaient leurs achats en passant loin ou tout près de moi, je les percevais parfaitement, mais comme des ombres qui pourchassaient un autre but dans un autre univers, réelles et inconsistantes à la fois. Elles me donnaient une force supplémentaire à l’action que j’étais en train d’accomplir.

Quant à l’expérience intérieure que j’ai vécue pendant ces lectures, elle pourrait faire l’objet d’une écriture. Cela a été une pièce d’un puzzle que constitue une trajectoire qui commence par notre naissance et nous mène là où nous sommes. Percevoir le monde, le manger, le digérer, le penser et en partager le résultat.

Je peux affirmer que ce hasard de la rencontre et de l’intimité avec l’oeuvre d’Asli Erdogan a allumé une lumière dans un coin de ce puzzle géant qui s’est construit, chemin faisant au fil des lectures publiques. Nous venons de la même région du monde, l’Asie, dont le cœur, l’Afghanistan, est l’un des plus endoloris par les guerres stratégiques et les soubresauts de l’Histoire mondiale.

C’est toujours émouvant de décrypter le sens d’un hasard qui trouve tout naturellement sa place dans le cadre de mon travail artistique, d’écriture, d’action, de pensée, projet actuel que j’ai intitulé Outre monde.

Décembre 2016

Lire Asli Erdogan pour qu’elle soit libre. Action initiée par Pierre Crevoisier et parrainée par Amnesty International. Lectures dans des libraires de Suisse romande et de France jusqu’au 24 décembre 2016.

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