Lettre de Lima à un ami lecteur – Ils marchent en rang, les faiseurs de mort, avec armes et bagages


C’est vrai, je voyage. Après mes lettres de Sicile et de Paris, c’est de Lima que je t’écris.

PAR PIERRE ROTTET

Or donc, et tu le devines, n’est-ce pas, j’ai laissé Fribourg derrière moi. Cela dès l’apparition des premiers jours de janvier. Au bon moment puisque, m’a-t-on assuré, il est tombé ensuite et en quelques heures une tapée de neige. Et la neige, sinon vue de loin, sur les hauteurs, à portée du regard, mais pas de ma carcasse, je la fuis.

Passe encore le froid. Mais si en plus t’ajoutes la neige. D’ailleurs, cela fait des années que je n’ai plus rien de commun avec ça. Ni plus rien à me mettre de nippes pour affronter ce rude climat. Que mes légères chaussures ne supportent d’ailleurs pas.

A la veille de m’envoler pour aller à la rencontre de «mon» été dans «mon» hémisphère sud, j’ai encore voulu m’imprégner du froid, pour au moins m’assurer, une fois pour toutes, que lui et moi vivons sans affinité aucune. Je te le concède, c’était surtout pour lui faire le pied de nez, par bravade. Un peu puéril, je te l’accorde.

Bref, ce soir-là, je me dirigeais en direction de mon royaume, je veux dire de mon truc à moi, qui me voit vivre, rire, échanger, parler, débattre, dormir, manger et boire un verre. Ces deux derniers plaisirs bien souvent partagés avec les gens que j’aime… Et ils ne s’en privent pas, les amis non plus, crois-moi! Ce soir-là, donc, il y avait foule sur les trottoirs. Et des files de voitures à n’en plus finir.

Des gens en uniforme faisaient de grands signes, bloquant ici ou là un accès de route, canalisant le trafic, que ces mêmes gens en uniforme contribuaient à transformer en bouchon. J’me suis demandé ce qui se passait. Oh, pas très longtemps, à dire vrai jusqu’au moment où j’ai aperçu un panneau signalétique, posé par ceux qui employaient leurs bras à faire des signes impératifs. Impératifs et nerveux. J’ai lu: «Service du feu». Alors, alors seulement je me suis souvenu que l’équipe locale de hockey jouait à Saint-Léonard en cette soirée-là. Pas étonnant, vu le feu qui couve dans la « maison Gottéron ».

Un peu facile? J’te l’accorde. Surtout que je vais abuser pour assurer la transition. Le temps de survoler la gouille d’eau de l’Atlantique, puis l’Amazonie, je me suis retrouvé sur les bords du Pacifique. Avec un ronflant 30 degrés. Ajoutés au moins… supportés à Fribourg!

Comme à son habitude, il m’a fait un clin d’oeil, ce Pacifique. Une fois encore, je ne lui ai pas cédé. Faut dire que je lui reproche d’être bien trop froid encore en cette période de l’année. Déjà que durant les autres…

Trop froid, donc. Et un rien agressif avec ses vagues qui déferlent. Bruyantes. Que j’aime d’ailleurs écouter. Mais à quelques mètres d’elles. Alors je le regarde, cet Océan, l’observe. Il y a assez de rivages pour ce faire. Et de terrasses de bistrots.

Tu sais, lorsque tu vis ces moments-là au soleil, tu retrouves bien vite tes marques. Dans le bus que j’occupais, un vendeur de glace a mis une touche de fraîcheur. En dix minutes de trajet, peut-être quinze, le temps m’a paru court pour franchir la distance qui me séparait de ma destination. Vu qu’après le «glacier», un jeune homme est monté dans le bus, muni de sa guitare. Le gars a alors fait courir sa voix sur des chansons qui ne m’inspirèrent qu’un regret: que tu ne puisses l’écouter chanter. Ouais, je lui ai donné la pièce demandée. A la vérité, crois-moi, c’est une ovation qu’il aurait méritée.

Comme je te l’écris! Et en tellement mieux encore. Laisse vagabonder ton imagination, laisse-toi porter par l’imaginaire. Et là crois-moi, tu voyages, en mettant les notes et les couleurs qui te font envie, plaisir. Sur le moment. Quitte à les changer, à les transformer, à les rythmer et les diluer différemment ensuite. A ta guise. C’est aussi une forme de liberté. Peut-être la vraie d’ailleurs, que personne jamais ne pourra t’enlever.

C’est à cela aussi que je pensais, allongé sur mon lit si accueillant, pour mes siestes après avoir tourné les pages d’un bouquin, la fenêtre grande ouverte histoire de laisser entrer l’air de la brise marine. C’est marrant, tiens, maintenant que j’y pense. A Fribourg, même avec la fenêtre légèrement basculée, ni même grande ouverte du reste, aucun son ne me parvient vraiment de l’extérieur. Ou si peu. Celui d’une voiture un peu trop bruyante, à la rigueur, ou d’une moto pétaradante, un peu trop zélée dans sa vitesse. Parfois mais trop peu souvent, le rires de gosses qui s’amusent. Le calme, pour tout dire.

Pour autant, je ne «sieste» pas mieux qu’ici, dans ce quartier, aux abords de ce parc verdoyant ombragé, multicolore de ses fleurs. Bruyant à souhait. Avec des bruits rassurant, y compris les multitudes de gamins qui se déploient alentours dans leurs jeux, des bruits… qui te font fermer les yeux parce qu’ils prennent la forme d’une joyeuse vie; Qui te porte à sourire. Comme une invitation. Qu’il est impossible de refuser; avec entre autres le sifflet strident de «l’heladero», monté sur son tricycle jaune qui sort de son frigo incorporé les glaces aux arômes que tu souhaites. Désires… Le délice des gosses, et pas uniquement, qui répondent présents; avec la petite musique si particulière du «frutero», qui parcours les petites ruelles qui entourent les parcs du quartier; avec encore la trompette posée sur le chariot ambulant de l’aiguiseur de couteau…

La vie, quoi. Enfin… Pas celle perdue par les cinq malheureuses personnes lors de la énième tuerie aux Etats-Unis, le 6 janvier à l’aéroport de Fort Lauderdale, en Floride. Tuées une première fois par la bêtise d’une réglementation américaine sur le transport d’armes à feu. Puis une seconde, par les balles d’un ex-soldat étasunien en Irak. Victimes collatérales, si j’ose, des Bush père et fils. Victimes collatérales, disais-je, sur sol yankee. Car pour ce qui est aujourd’hui encore et toujours en Irak, elles se comptent quotidiennement par dizaines, par centaines. Par centaines et centaines de milliers depuis le début du déferlement de la mort dans ce pays et dans la région. Dit en passant, la Floride est l’un des Etats parmi les plus permissifs aux «States» en matière d’armes. Aucun permis n’est en effet exigé pour les acheter.

Tu me pardonneras sans doute cette digression liée à l’actu. Après mon passage de l’hiver à l’été. Je pouvais difficilement ne pas m’indigner à la lecture de titres d’agences de presse qui apportaient le jour suivant quelques infos sur le drame. Je cite: «Fort Lauderdale: le tireur a été interrogé, la piste terroriste pas écartée».

Pas écartée? Non mais! Je me suis penché sur la définition que donnent certains dicos à propos du mot «terrorisme». J’y ai principalement trouvé son étymologie, à savoir: du latin «terror», terreur; puis, banalement, ce qui «désigne l’usage de la violence». Comme si le fait de tuer des personnes dans un aéroport avec un pistolet semi-automatique de 9 mm ne relevait pas d’un acte terroriste… D’un acte de terreur. Que le flic de service émette semblable ânerie… mais que ses propos soient repris, en titre qui plus est, relève de la plus parfaite indécence.

Plutôt que d’étaler semblables inepties, dirai-je, l’auteur de cette stupidité aurait mieux fait d’aller demander aux familles des victimes ce qu’elles en pensent. Nul doute que leurs yeux porteront longtemps encore ce qu’ils ont enregistré au moment de la tuerie: la terreur!

C’est bête, hein, mais si je poursuis le cheminement de ma pensée, selon moi, tuer, par fanatisme, par haine de l’autre, assassiner, ôter la vie, tout cela, tout, relève, pour qui la subit, de la terreur. Au même titre que celle, institutionnelle, celle-là, exercée par un gouvernement sur le terrain des guerres. Ou dans les chambres d’exécutions…

Une autre chose me sidère, et je pense que cela n’a pas échappé à ta perspicacité non plus: voilà un gus qui s’embarque à Anchorage, en Alaska, avec arme dans son bagage en soute – ce que permet la législation étasunienne pour les vols sur sol américain -, pour les récupérer ensuite tranquillement sur les lieux du drame, en Floride; ouvre son bagage pour finalement sortir son arme et ferrailler dans la foule… Non mais, faut-être sacrément idiot pour permettre une telle aberration.

Tu parles de mesures de sécurité. Faut pourtant pas être grand stratège pour se rendre compte des failles du système. Une bénédiction, si tu me passes l’expression, pour un fou de la gâchette. Pour tout dire, faut avoir une cervelle d’oiseau pour ne pas y penser. Pardon, pas de cervelle du tout, car je respecte trop les oiseaux…

Le plus absurde, dans cette histoire, est que le scénario de l’aéroport de Fort Lauderdale va donner des idées. Un truc aussi simple que ça. Tu penses! Y vont se gêner les fous de la gâchette… Et dire qu’avec le club des milliardaires qui s’apprête à prendre possession de la Maison Blanche, les choses ne vont pas changer. Les lobbystes des armes et ceux qui vivent de la mort ont encore de beaux jours devant eux. Et de belles flaques de sang en perspective, à cause de crétins qui pensent que tout se règle avec les armes et les balles. Ils marchent en rang, ces faiseurs de mort. Et cette fois, si tu me permets l’expression, avec armes et bagages.

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