Les inestimables photographies de la collection de Charles-Henri Favrod


Le troisième tome de photos issues de la prestigieuse collection de Charles-Henri Favrod (1927-2017) vient de paraître dans la série CampImages.

PAR PIERRE JEANNERET

Il est centré sur la notion d’exotisme. Une brève introduction intitulée Le Vaste Monde, par Favrod lui-même, pose quelques jalons nécessaires.

La première partie du 19e siècle est marquée par la découverte des sociétés dites primitives et voit naître un grand intérêt pour l’anthropologie. La photographie va participer à ce mouvement. Elle se met aussi au service de l’archéologie: le daguerréotype permet par exemple de relever beaucoup plus rapidement les hiéroglyphes que le dessin. Les expéditions et voyages en Afrique, Asie et Océanie sont désormais accompagnés par des photographes, mais les temps de pose restent bien longs. On notera donc, dans de nombreuses photos, le caractère figé des personnages, saisis de face et dans un décor parfois artificiel. En 1880, la première reproduction d’un cliché dans un journal (le Daily Herald) marque le début du reportage photographique.

L’exotisme et l’orientalisme ne disparaissent pas, mais se trouvent modifiés par la technique nouvelle: ils ont désormais un caractère moins romantique et plus scientifique. Mais ils gardent leur ambiguïté. L’Europe sûre d’elle-même domine le monde. Elle veut éduquer les «barbares» en commençant par les photographier.

Parcourons donc cet ouvrage composé de photographies intéressantes, souvent esthétiquement belles, parfois insoutenables de cruauté, et toujours révélatrices du rapport du «civilisé» avec l’Autre. L’intention de présenter ces peuplades primitives comme «sauvages» est évidente: en témoignent la nudité très fréquente des corps, ainsi que ces scènes de préparation de cannibalisme, de crucifixion au Japon, de torture ou d’étranglement en Chine.

Certaines photographies présentent cependant un réel intérêt ethnographique et échappent à ce regard condescendant, telles les prises de vue à Java révélant le détail des costumes et des éléments d’architecture.

On remarquera la présence de plusieurs photos de groupe se livrant à une même activité: ouvrières d’une plantation de thé à Ceylan, équipe agricole en Chine, rameurs de pirogues sur le fleuve Congo. Curieusement, et même si ce sentiment relève peut-être de l’anachronisme, ces clichés donnent aujourd’hui une idée positive de collectivité en action, en rupture avec l’hyper-individualisme qui caractérise notre monde occidental. Notre regard sur eux se modifie donc avec le temps.

D’autres prises de vue ont une valeur surtout esthétique, tel ce bain de buffles en 1868 près des pyramides du Caire, aujourd’hui entourées de quartiers d’habitation.

L’Algérie a suscité l’activité de nombreux photographes. Les «Mauresques» sont photographiées voilées, au contraire des Bédouines. D’autres scènes illustrant l’Afrique arabe sont encore visibles aujourd’hui: ainsi les marchands ou commerçants des souks. Un érotisme diffus et orientalisant est présent dans plusieurs clichés. Enfin une photo prise en 1856 illustre de manière emblématique le rapport de domination coloniale: un militaire français se fait servir le café par un petit «négrillon». Les 400 clichés réalisés par Félix-Jacques Moulin en 1856 en Algérie, à l’aide du nouveau procédé du collodion liquide, et dédicacés à Napoléon III, auraient par ailleurs, selon Favrod, «largement contribué à sa grande vision d’Empire arabe».

Le phénomène d’acculturation est lui aussi visible, par exemple dans les portraits, datant de 1869-1870, du roi et de la reine du Cambodge (déjà sous protectorat français), vêtus en partie à l’européenne.

Un index permet de connaître quelques éléments biographiques des photographes concernés, chaque fois que cela fut possible.

Ce volume s’ajoute à la longue liste des livres de voyages de Charles-Henri Favrod où la photo, qui fut la passion de sa vie, joue un rôle essentiel. Quelques clichés dans ce livre, datant de 1953-1955, sont d’ailleurs de lui.

Le Vaste Monde, par Charles-Henri Favrod, Orbe, Campiche Editeur, Orbe, 2016, 127 pages.

Charles-Henri Favrod est décédé le 15 janvier 2017. Créateur du Musée de l’Elysée à Lausanne en 1985, il fut grand reporter et photographe. Par la publication de cet article de Pierre-Jeanneret, paru dans Domaine Public, la Méduse lui rend hommage.

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