Lettre de Lima à un ami lecteur – J’ai en tête ce que disait Boris Vian à propos de la justice


Je n’en croyais pas mes yeux!

PAR PIERRE ROTTET

Le ciel bleu que je découvre chaque matin en me levant, pas très tôt, je te le concède, avec les premières lampées de mon café, ce ciel, figure-toi, il était gris. Gris et noir. Ma terrasse, habituée à mon accueil du matin, était porteuse d’immenses flaques d’eau. Qu’alimentaient encore des grosses gouttes de pluies.

Une averse. Une belle grosse averse, en cette période de l’année, de l’été ici à Lima, c’est suffisamment rare pour me surprendre. Mon bougainvilliers, lui, s’en trouvait tout ragaillardi. Une aubaine pour lui, vu que je l’avais un peu délaissé ces derniers temps. Je crois même que les oiseaux alentours faisaient la fête à la pluie. A son eau désaltérante, je veux dire.

Un vrai, un bon vieux coup d’eau. Qui s’empressait d’expurger les poussières du bitume. Mais il en aurait fallu bien plus pour décourager le jardinier de la municipalité du lieu, qui avait dégainé son tuyau d’arrosage, pour inonder un peu plus le parc verdoyant et fleuri. Histoire d’ajouter à l’eau du ciel ce qui sortait de son truc. Il suivait sans doute les instructions de ses chefs données la veille. D’un planning qui ne prévoyait pas la concurrence venue du haut, porteuse de nuages. Mais les ordres, n’est-ce pas…

Tu l’as compris, cette pluie, si elle ne m’a pas dérangé pas, n’en était pas moins inhabituelle, dans un paysage certes baigné, mais de soleil, généralement. J’ai bien pensé écrire à Trump, pour lui faire part de ce petit phénomène climatique, que je suivais en vivo y en directo à mesure que tombait la flotte. Mais je cause pas à ce type.

J’ai alors pensé m’adresser aux irresponsables de son gouvernement de milliardaires qui émettent bêtement eux aussi plus que des doutes sur les changements climatiques, et notamment au ministre Rex Tillerson l’ex-grand patron de l’entreprise Exxon, ce groupe pétrolier qui a financé des groupes climato-sceptiques. En contribuant notamment à répandre la désinformation sur la menace du changement climatique. J’ai bien pensé à le faire, là également. Mais à lui non plus, je cause pas.

Bref. Je me suis mis à l’abri sous l’avant-toit de ma terrasse. Mon café à portée de main. Et donc de bouche. Mon ordi devant moi pour partir avec lui à la découverte des nouvelles de ce monde. J’aurais tout aussi bien pu lire celles d’hier, qui ressembleront à celles de demain du reste. Hormis quelques-unes. A doses homéopathiques. Faut dire que nombre de nos confrères ne se cassent pas pour aller porter leur curiosité dans bien des ailleurs de ce monde. Vers d’autres rondeurs, y compris sud-américaines…

A croire que nos mêmes confrères, d’un quotidien à l’autre, se refilent titres et articles pour qu’un moins les lecteurs puissent y trouver ce que les télés, le soir avant, leurs avaient déjà servis. C’est dire que l’exercice matinal de la «lecture» de la presse se résume à la confirmation des infos dont j’avais pris connaissance la veille. Et même parfois bien au-delà…

C’est dire aussi qu’en cette matinée, muni d’un livre et de quelques feuilles de papier, je fus très vite à me retrouver dans la rue, puis sur une terrasse, dans l’un des bistrot de Larcomar, un immense complexe commerciale, à la vue imprenable et inégalable sur la baie de Lima, qui s’étend du nord au sud. Y avait pas foule en ce lundi matin. Devant moi à perte de vue, l’horizon gris se fondait pour ne faire qu’un entre ciel et mer. Il faisait vent. Une brise à faire se trémousser l’Océan Pacifique. Quelques surfeurs sur ma gauche, en bas, très en bas de Larcomar qui surplombe et domine la baie et la route bordière, s’essayaient dans les vagues. Sans trop de succès.

Pas une seule embarcation sur toute l’étendue d’eau à portée de mon regard, hormis une petite barque, minuscule à vrai dire, surtout vue de loin, qui se balançait. Que pouvait-elle bien faire là? Un pêcheur, un solitaire venu dialoguer avec la mer? Va savoir! J’ai suivi cette embarcation, cette noix pendant un moment. Le plus marrant, est qu’elle semblait ne pas bouger, figée dans ces flots, durant le temps de ma contemplation. Que partageaient au-dessus de l’eau, eux, de nombreux oiseaux, portés par les courants au-dessus du Pacifique…

Il n’y a rien que j’aime autant, enfin, lorsque je dis rien, je veux dire par-là que j’aime ces moments, à observer le manège de la mer, le bruit du ressac. Et d’où j’étais, crois-moi…

Je me suis ensuite baladé dans l’endroit, à «farnienter» en attendant l’heure de l’apéro. Une employée de cet immense centre était plantée là, avec son uniforme saillant, d’un rouge qui faisait ressortir sa chevelure noire, je veux dire là ou le sol accusait un léger dénivelé, compensé par une marche qui ne fait guère plus de 10 centimètres. J’ai observé la jeune fille, intrigué par ce qu’elle pouvait bien y faire. Milagros, qu’elle s’appelait. «Mon travail? Rendre attentif les gens à la marche. Oui, simplement cela… mais tu sais, m’a-t-elle assuré, les gens sont tellement distraits, surtout lorsqu’ils consultent leurs portables…». Vingt mètres plus loin, une autre jeune fille faisait d’identiques mises garde. Pour ceux qui accouraient de l’autre côté…

Ouais. Pour dire aux gens de faire attention! Simplement! Pas compliqué. Tout cela pour éviter que ces mêmes gens ne se foutent sur le nez. Et elle avait du boulot, Milagros, malgré le peu de monde. Et puis tu sais, m’a-t-elle glissé, un couple aux amours naissantes, bien trop occupé à se conter: mieux vaudrait qu’il ne tombe pas déjà… Elle a tout compris, Milagros!

Ouais! Un boulot pt’être pas comme les autres. Mais qui donne salaire à la fin du mois. Un autre monde, tu l’as compris. Et pourquoi crois-tu qu’il est devenu le mien aussi. Même s’il porte parfois aux sentiments les plus contradictoires, surtout s’ils sont portés du haut de nos certitudes.

Attends, j’ai une anecdote pour terminer cette lettre. Tu vois, il m’arrive parfois de ne pas tempêter. De ne pas être toujours à l’offensive, si je puis dire, pour au moins m’assurer que je ne perds rien de mes indignations lorsque vient le moment de les exprimer…

A une cinquantaine de mètres de chez moi, aux bords de l’une des petites rues qui entourent le parc, vit un voisin. Comme tant d’autres aux alentours. Sauf que lui à une VW, tu sais, une de ces VW coccinelles qu’on voyait sur toutes les routes de Suisse ou d’ailleurs, y compris du Pérou. Elle est rouge, lustrée, pouponnée, entretenue. Intérieur compris! Les sièges même, pas rancuniers, ne semblent pas avoir soufferts de tant de postérieurs accueillis. Si je ne savais pas que lesdites coccinelles ne font plus partie de la production décidée il y a bien des années par la maison mère en Allemagne, on pourrait penser qu’elle est neuve. Flambant neuve.

Et pourtant! Plus d’une fois, son propriétaire avait conduit sa fille au collège, en compagnie de ma fille Patricia. Cela fait bien trente ans déjà. Sans compter qu’il l’avait roulée pendant des années auparavant. Et son moteur, crois-moi, tourne toujours aussi rond, pour démarrer au quart de tour. Je te vois venir… Alors oui, en partie d’accord avec toi. Sauf que plus de la moitié des véhicules qui empruntent quotidiennement rues et avenues de Lima, ou les routes du Pérou, polluent bien davantage que la coccinelle en question. Et puis, les moteurs de ces véhicules n’étaient pas encore truqués, n’est-ce pas? Du moins pas à ma connaissance!

Pour l’heure, et ce sera la conclusion de ma lettre, histoire de joindre une touche… disons piquante: le Pérou découvre depuis un certain temps – et chaque jour un peu plus – l’ampleur de la corruption orchestrée dans le pays par la société brésilienne Odebrecht, impliquée voire à la base de multiples scandales financiers au Brésil. Sous les 4 ou 5 dernières présidences, le Pérou à attribué à Odebrecht des travaux pour des centaines et des centaines de millions de dollars. Des milliards! Grâce aux pots-de-vin millionnaires versés tous azimuts notamment à des politiciens… de tous bords. Un feuilleton au quotidien désormais. Qui ne fait rigoler personne.

Rigoler? Tiens. La première tête est tombée en ce début de semaine, avec la sentence prononcée par un juge: 18 mois de prison préventive contre un ex-membre du comité qui avait attribué une partie du tronçon du Métro de Lima à Odebrecht. Un petit, tout petit poisson, pour éviter de ferrer les gros, les tout tout gros, dans la hiérarchie de l’Etat. Histoire de donner le change, de calmer la rue dans un semblant d’acte contre ceux qui ont touché des dollars par millions.

La corruption? Un sport national endémique que pratiquent les autorités politiques et judiciaires. Épargnées, elles. Pourtant personne ne s’y trompe, et surtout pas les gens de la rue, pour lesquels ces personnes ne sont rien d’autres que des délinquants. Mais en col blanc. Et qui siègent assez haut pour être intouchables.

A titre de comparaison, en décembre 2015, une jeune femme avait agressé un flic – oh, par grand-chose à vrai dire, si l’on considère les “forces” en présence: un petit bout de femme contre un flic aguerri à ce genre de chose. Résultat, elle a été condamnée par un tribunal du Callao, formés de machos, à, tiens-toi bien, 7 ans de prison. L’avocat général en avait requis neuf. Non mais, ça va la justice? J’ai en tête ce que disait à ce propos Boris Vian: «Avez-vous remarqué qu’on dit rendre la justice? Ils l’ont donc prise? On nous fait juger par des voleurs?».

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