Une étude universitaire est consacrée à plusieurs scandales en Suisse et à l’étranger


C’est une étude de caractère très académique, menée par dix-huit chercheurs – avec une belle parité hommes-femmes! – qui est consacrée au phénomène du scandale.

PAR PIERRE JEANNERET

Celui-ci peut être défini comme «signe d’une condamnation forte et unanime qu’une société exprime face à un événement (ou à une série d’événements) publiquement révélé, rentrant en contradiction radicale avec les valeurs partagées par elle.» Le scandale peut donc être de nature politique, financière, sexuelle, toucher le sport, l’art, la santé, l’environnement – cette liste n’est pas exhaustive.

Dans leur introduction, Malik Mazbouri et François Vallotton prennent soin de préciser que les études rassemblées s’attachent moins à l’objet du scandale lui-même qu’au mécanisme qui conduit à le faire apparaître comme tel. Force est cependant de dire que, pour le lecteur moyen, c’est bien la nature même de ces différents scandales qui suscite l’intérêt!

On regrettera cependant le fait que plusieurs jeunes chercheurs se complaisent dans le langage abscons cher à certains sociologues et que divers passages de cet ouvrage au demeurant fort intéressant tiennent du jargon pour initiés. Par charité, nous avons renoncé à en citer quelques exemples caricaturaux.

Bien au contraire, c’est en recourant à une langue précise et limpide, à son habitude, que l’historien neuchâtelois Marc Perrenoud démonte les rouages d’un énorme scandale financier, celui de l’Investors Overseas Services (IOS), qui toucha fortement la Suisse dans les années 1960-1970. Liée à la personnalité trouble de Bernard Cornfeld (1927-1995), cette société se révéla une énorme escroquerie. Or, le Crédit suisse d’alors se compromit en promouvant ses activités, ce qui créa de fortes tensions avec les banquiers privés genevois, soucieux de ne pas voir salie la place financière suisse. Si l’on y ajoute «l’aide protectrice», pour ne pas dire la complicité, accordée à IOS par nombre d’avocats, de personnalités politiques, de banquiers ou de journalistes genevois, on constate, au vu de la récente affaire concernant le vice-président de la Guinée équatoriale, que le problème n’a rien perdu de son actualité…

Sophie Chauveau s’intéresse, elle, aux crises sanitaires en France entre les années 1880 et le début du 21e siècle. On se rappelle les affaires du sang contaminé, de l’hormone de croissance, de la «vache folle» ou encore des implants mammaires. Elle montre bien que, dans l’univers sanitaire et médical, où domina longtemps la foi positiviste dans le progrès, ces différents scandales ont instauré le règne du doute et de la méfiance. Ils se caractérisent aussi par la mobilisation collective des victimes. Si le scandale, à chaque fois, éclate, c’est que les médias s’en emparent. Ils trouvent un écho auprès du public dans la mesure où ces affaires heurtent l’attachement général à une forme d’éthique sanitaire.

Deux textes dus à quatre femmes (Sara Galle, Gisela Hauss, Joëlle Droux et Véronique Czaka) s’attachent aux placements d’enfants dans les maisons d’éducation et les familles d’accueil, une pratique qui donna lieu à de multiples abus et mauvais traitements et qui suscite aujourd’hui encore une grande émotion en Suisse. Des articles dans la presse alémanique, notamment des Sozialreportagen, mirent le doigt, dès les années 1930-1940, sur les dysfonctionnements des institutions de placement. Et pourtant, il fallut attendre des décennies pour que des réformes de fond soient mises en place.

Il en va de même pour le placement d’enfants dans des familles d’accueil, que leurs auteures qualifient pertinemment de «scandale à bas bruit»: victimes inaudibles, complicités de notables, pasteurs ou instituteurs locaux, indifférence du public envers ces enfants appartenant à un milieu social défavorisé, tout cela explique le fait que le scandale n’ait éclaté que récemment au grand jour, notamment grâce à la vigoureuse prise de parole des victimes.

Charlotte Dichy consacre une étude fort intéressante à une affaire assez oubliée et peu connue en Suisse romande, la polémique des années 1960 autour de la Fondation Alberto Giacometti à Zurich. Celle-ci divisa le monde de l’art en deux camps. Pour faire court, on dira qu’elle opposa les modernistes aux conservateurs sur le plan esthétique. Mais elle eut aussi des aspects institutionnels: à quels artistes devaient aller les fonds publics? Aux avant-gardes plaisant surtout à un public élitaire? Aux traditionalistes et aux artistes régionaux? A travers l’affaire Giacometti, l’auteure se penche donc sur le rapport entre art, politique et société.

S’étonnera-t-on vraiment que deux scandales analysés ici concernent le Valais, aux pratiques souvent opaques? Le premier est l’affaire des «vignes maudites» (1959-1962) présentée par Grégoire Luisier. Les seniors parmi nos lecteurs et lectrices se rappelleront que, le vendredi 2 juin 1961 vers 4 heures du matin, deux hélicoptères pilotés par Hermann Geiger et Fernand Martignoni, deux héros du sauvetage en montagne, pulvérisèrent des produits chimiques dévastateurs sur environ vingt hectares de vignes plantées illégalement dans la plaine du Rhône. Les pilotes y perdirent beaucoup de leur popularité… Si la mesure était conforme à la législation fédérale, soucieuse d’éviter la surproduction viticole et de préserver la qualité des vins suisses, elle fut ressentie comme particulièrement maladroite et souleva un tollé, surtout dans le Bas-Valais. Celui-ci avait déjà été le lieu d’une protestation violente, lorsqu’à Saxon en 1953, des producteurs d’abricots en colère mirent le feu à des wagons CFF chargés de fruits importés. L’auteur va au-delà de ces deux événements pour faire brièvement l’histoire du syndicalisme paysan dans le canton, initialement liée au POP et à l’Union des producteurs valaisans.

L’autre scandale, plus grave sur les plans écologique et sanitaire, est celui du fluor en Valais (1975-1983), traitée par Coralie Fournier-Neurohr. Alors que le canton entre dans l’ère industrielle, deux usines sont fondées en 1908: la première, de loin la plus importante, à Chippis, appartient à AIAG, ancêtre d’Alusuisse. La seconde, Aluminium Martigny SA, est construite par une firme allemande. Dès 1914, le milieu scientifique établit le lien entre les gaz fluorés utilisés dans la production d’aluminium et les dommages causés à la végétation, ainsi qu’avec la fluorose, maladie qui touche les ouvriers. Or il faudra attendre l’année 1975, c’est-à-dire un demi-siècle, pour que le scandale éclate! Ce retard est dû aux liens étroits entre l’Etat valaisan, la Confédération et les industries. L’auteure constate aussi le singulier manque de combativité des syndicats à Chippis, qui craignent il est vrai que des mesures drastiques ne provoquent la fermeture de l’usine – de loin le plus gros employeur de la commune! – et le chômage. Un chantage à l’emploi que ne manque pas d’utiliser le patronat industriel.

Enfin Léonore Cabin évoque l’affaire Assange, fondateur de Wikileaks, et son retournement. Alors que Julian Assange est à l’origine accusé de viols par la justice suédoise, il devient vite aux yeux de l’opinion le héros et la victime d’une machination politique américaine destinée à faire taire celui qui avait diffusé 77’000 documents confidentiels sur la guerre d’Afghanistan.

Ce compte rendu procède d’un choix, certes subjectif, des textes que nous avons jugés les plus intéressants pour un public élargi.

Scandale & histoire (sous la direction de Malik Mazbouri & François Vallotton), Lausanne, Antipodes, 2016, 238 pages.

Domaine Public

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Un commentaire à “Une étude universitaire est consacrée à plusieurs scandales en Suisse et à l’étranger”

  1. brigitte 31 mars 2017 at 10:29 #

    Très bon article et sans doute est-ce un très bon livre pour les jeunes générations mais on n’ose même pas imaginer ce qui se dira dans 10 ou 20 ans au sujet de Facebook et de ses jeux stupides n’ayant que le suicide comme issue fatale pour celui qui n’obéit pas au Gourou /le jeu Challenge
    Je me permets de revenir sur un terme utilisé hier au soir par le journaliste de Temps présent lors de l’émission sur les placements d’enfants
    Le terme peu vertueux a été utilisé pour critiquer les parents ayant dû se séparer de leurs enfants mais on est rassuré, les religieux n’étaient pas plus recommandables
    Beaucoup de parents étaient immatures et les moyens de contraception n’existaient pas
    Quand à la brutalité vis à vis des enfants et des plus faibles elle était monnaie courante même et surtout en certaines classes d’école n’ayant rien à voir avec les orphelinats ou autres maisons de redressements
    Nombre de parents avaient le vécu de deux guerres et les enfants se faisaient à la pelle par des hommes partis au front et qui rentrés n’avaient plus qu’une idée, faire l’amour à leur épouse mais encore faut-il avoir le vécu de ces époques et surtout avoir discuté avec des gens nés a fin 1800
    A mon avis placer la séparation de leur famille pour tous ces gosses devait faire partie de l’Eugénisme Allemand ayant été utilisé pour gazer et ce dès 1923 tous les handicapés mentaux et ce en milieu hospitalier

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