Dix trucs pour avoir des clics sur internet


Tamedia projette d’instaurer une prime aux clics sur ses sites.

PAR JOËL CERUTTI

Par trimestre, celle ou celui qui en aura gagné le plus, percevra un petit bonus de 800 frs. On va l’aider. Comment choisir les « bons » sujets pour générer du partage sur internet ? Les doigts dans le nez et la paume sur la souris !

Tu bosses dans une newsepresse, une newsroom, une newsdesk, une newsinfoline, une newexpress ? Bref, tu essaies de travailler dans un bureau open space où tes collègues braillent au téléphone et regardent des conneries sur YouTube. Lorsque tu te concentres durant un temps X, tu livres ce qui ressemble à un article. En vérité, ce ne sont pas tes mots. Tu puises dans le flux des dépêches d’agences des nouvelles qui te semblent destinées à ton lectorat type. Tu les retravailles, tu les flanques sur le site et tu attends. Selon tes choix, il y a des infos qui crochent. D’autres sur lesquelles personne ne s’arrête. Pas de commentaires. Nul partage. La zone ! C’est là qu’intervient la prime aux clics de Tamedia. Selon les propres termes de l’éditeur, elle encourage « la qualité ». Tu es un(e) jeune stagiaire sous-payé(e) et qui coûte moins cher qu’un RP pro (5 viennent d’arriver à la newsroom du Temps, nous indique Vigousse) ? Tu les veux tes 800 balles par trimestre ? Remercie-moi par avance – c’est du vécu ! – voici comment tu vas exploser tes adversaires et remporter la mise.

1 – LA GALERIE AVEC DES NANAS A GROS… DÉCOLLETÉ (DU CUL, QUOI…) Une info people tombe et elle concerne la galaxie des Kardashians ? Prenons le vol de bijoux à Paris de la Kim. Crée fissa une galerie – avec une bonne trentaine de photos – remplie de nanas à gros seins et aux décolletés qui plongent sur des bijoux. Le défilé des clichés – que ce soit des fesses, des petites culottes oubliées, des nanas de footballeur – ça attire ! Si l’internaute se tape la totalité – dans laquelle tu cases encore trois ou quatre pubs – c’est du temps et du pain béni. Les ravages de la chirurgie esthétique, des rides et du bide sur les stars des années 90 reste un must. Incroyable ET vrai, Pamela Anderson trouve encore plein de fans. Par contre, je te déconseille la galerie des acteurs avec le plus petit pénis. Le mâle déteste le ridicule, ça peut décevoir des fans et t’attirer des procès si l’origine de la photo n’est pas certaine.

2 – LE FAIT DIVERS PIXÉLISÉ  Ce qui se massacre, s’écrase, se carbonise, dans les villes, dans les villages et sur les routes doit être poussé au sommet du site. Le must, c’est quand le lecteur met la main au Smartphone. Il participe à l’info et te fournit les photos en exclu. Il bosse pour des cacahuètes puis, ensuite, partage avec ses potes les clichés mis en ligne. Tu les pixélises (tu floutes les visages) parce que ça cache du sordide (flaques de sang, bouts de cervelle) et apporte des airs d’interdit à ce qui est sur l’écran. Pour l’article, tu attends que l’agence de presse te confirme que cela s’est bien passé. Taux de partage : entre 400 et 500 fois. Garantis !

3 – FAIT DIVERS AVEC UN ÉTRANGER Quand le fait divers se croise avec des trucs sexy – genre : « Il oblige sa copine à bouffer sa culotte avant de l’enfermer dans le coffre de sa voiture et d’être arrêté à 180 sur l’autoroute avec 2,3 gr dans le sang » – tu risques un malheur. Si le conducteur est un pas vraiment Suisse, un conseil, bloque les commentaires. Tu perdras trop d’énergie à les filtrer. Taux de partages : dans les 1000 !

4 – FAIT DIVERS AVEC UNE BAVURE La bavure policière, sache-le, fonctionne admirablement dans les partages et les commentaires. Plus tu attises ce sentiment anxiogène, plus tu restes dans le trend des médias concurrents. Les retombées sociologiques, puis les influences sur certains votes, en dépendent. Ne t’en soucie pas, tu es là pour que le Show must go on. Always. Taux de partages : 800.

5 – LES VERDICTS DES JUGES On connaît, en Suisse comme ailleurs, l’inclination des juges à se montrer clément envers les crapules fort riches ou les malfrats défendus par des ténors du barreau. Ils sanctionnent avec laxisme les actes les plus ignobles (dont le coupable ne purge d’ailleurs guère sa peine jusqu’au bout, et que fait la peine de mort ?) La justice utilise presque autant de vitesse que ta voiture, c’est certain. Tu pourrais proposer une Chronique de la Bavure en Robe Noire. Matière, tu auras et déchaînement garanti dans la blogosphère. Taux de partages : 1000 si étrangers impliqués.

6 – CHATS ET LES QUATRE PATTES   « Internet appartient aux chats et au porno », crache un spécialiste du LOLcat. Le chat, dont le caractère solitaire et indépendant plaît aux geeks par millions, cartonne depuis le début des années 2000 pour des raisons qui t’ennuieraient. Par ricochets, tout ce qui touche les bestioles, les vidéos insolites, les photos qui capturent les prédateurs ne laissent pas une seule souris indifférente. Au bas mot dans les 600 partages si y’a du lynx ou du loup. L’oiseau qui siffle comme Rihanna, ça monte dans les hits de la toile. Les vidéos avec les conditions d’élevages des poulets, veaux, vaches et cochons peuvent générer du buzz puissant (dans les 1500-1800 partages). Propose-les parfois – cela sera ton instant de bonne conscience morale – et avec modération.

7 – LES CLASSEMENTS Les 10, ou les 5, les plus, les moins, les pires dans un domaine, ça t’aimante le clic grave. La preuve, tu es venu sur cette rubrique grâce au titre du haut (et la photo du décolleté). Il existe des sites, en Amérique, qui ne font que ça. Tu empruntes, tu piques, tu adaptes, nul besoin de citer ta source, c’est sur internet, un univers qui se réinvente chaque seconde en pillant ses rivaux. Ne râle pas si un collègue, de la même newsroom, te repompe ta « trouvaille » quelques mois plus tard, quand tout le monde l’aura oubliée. Guette les études à la con que les agences répercutent avec délices. Chaque jour, tu as des statistiques ou tes comparatifs qui ne valent rien, d’un point de vie scientifique. Qu’est-ce que tu en as à foutre ? Publie !

8 – LE SERVICE PUBLIC   La Poste, Swisscom, les CFF se donnent beaucoup de mal pour mécontenter leurs clients. Récompense leurs efforts. Un train en retard, des prix exorbitants, des prestations poussives, tu peux y aller ! Un bémol. Accorde surtout la parole aux lecteurs, ne t’implique pas trop. Focalise-toi sur les transports en commun, ne remue pas du côté des automobiles. En matière de pubs, les marques de bagnoles investissent plus que les CFF. Méfie-toi avec Swisscom ou PostFinance, ils restent des annonceurs.

9 – LES NOMS QUI TIRENT   Gare aux pièges faciles. Les noms de Donald Trump, François Fillon, ça marche très léger, léger. Cela énerve les médias, moins ton lectorat de base. Exception faite de Trump associé avec une people qui se rebelle vachement contre lui. Là, ça peut démarrer. Sache que la politique pure, cela n’aimante pas le clic. À un moment, il faudra bien comprendre que ces infos-là servent juste de caution et enrobent ce que je viens de te citer. Le local rencontre quelques échos – CC, dit Christian Constantin reste un bon client – mais cela dépend du contexte.

10 – LES GARS QUI COURENT SUR DES TERRAINS, DES PISTES OU DES CIRCUITS (LE SPORT…) Je te le mets par pur acquis de conscience. Sauf qu’il s’agit d’une rédaction dans la rédaction. La sportive possède ses codes, sa façon de traiter les divers domaines. Soit une chasse gardée où tu te feras tirer dessus si tu mets un orteil sur ce territoire. Maintenant, avec les restrictions budgétaires, il se peut que vous vous retrouviez autour d’une newsdesk identique. Il faudra vraiment que cela aille mal.

Avec neuf vrais points d’entrée, si tes clics ne prennent pas l’ascenseur, c’est que tu dois changer de métier. Tu as déjà pensé au journalisme ?

PS : Ces constats proviennent de plusieurs sites suisses ou français décortiqués par mes soins. Rien de gratuit… si ce n’est leur accès ! Après, leurs versions imprimées et payantes ne valent guère mieux. C’est un peu le cœur du problème…

PJI

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3 commmentaires à “Dix trucs pour avoir des clics sur internet”

  1. Christian Campiche 27 février 2017 at 15:00 #

    Comment pourrait-il en être autrement de la part d’un groupe dont le président fait de la pub pour le salon de l’auto dans l’éditorial du supplément de ses quotidiens? Quid des préceptes du Conseil suisse de la presse (séparation rédactionnel-publicité)? info en danger, plus que jamais!

  2. Bernard Walter 27 février 2017 at 21:11 #

    Quel excellent article ! C’est drôle, très brillant, génial, et ça fout les boules.Mais dans quelle connerie de monde on vit ! Tout ce qui reste à faire, c’est de cultiver un regard honnête et lucide, autant que possible intelligent et indépendant, et répandre des bonnes choses autour de soi.

  3. Christian Campiche 3 mars 2017 at 22:13 #

    Dernière nouvelle, c’est la télé qui l’annonce: Tamedia renonce au clic en Suisse romande: http://www.latele.ch/play?i=64734

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