Martin Beniston, un tweet contre 30 ans de recherche


Le climatologue Martin Beniston a donné sa leçon d’adieu à l’Université de Genève le 12 juin dernier, après une carrière académique qui se confond avec trente années clés dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le Journal de l’Unige l’interroge le rôle des réseaux sociaux dans la réflexion sur le climat.

Peut-on être climatologue sans être militant?
Martin Beniston: Je ne parlerai pas de militantisme. Quand les experts ont commencé à évoquer les retombées à long terme de la pollution et les conséquences de l’industrialisation accélérée de la planète à la fin des années 1980, ils se sont vite rendu compte des implications politiques et de la nécessité de tirer la sonnette d’alarme. J’étais un des rares francophones et ma présence dans les médias s’est imposée par nécessité plus que par choix. La portée de la parole des climatosceptiques dans les médias renforce certainement cette impression d’un positionnement militant. En réalité, 99% des scientifiques sont d’accord sur le fond, même si des points de détail les séparent!

Sur quoi les chercheurs sont-ils d’accord ?
Il y a un consensus aujourd’hui pour dire que l’humain est non seulement un acteur de l’évolution climatique, mais qu’il en est l’acteur dominant. Ce consensus constitue un message fort en faveur d’une action politique. Si l’humain ne représentait qu’une part infime de l’évolution récente du climat, l’Accord de Paris sur la réduction des gaz à effet de serre n’aurait pas beaucoup de sens. Il faut d’ailleurs reconnaître aux climatosceptiques le mérite d’avoir forcé les scientifiques à être plus rigoureux dans leurs conclusions, à revoir certains mécanismes mal compris. Sans eux, la climatologie ne serait pas aussi avancée.

Quels sont les grands défis actuels en matière de climat?
Le plus grand défi reste de vaincre l’inertie politique car les conclusions scientifiques sont les mêmes qu’il y a 30 ans ! Le message n’a pas changé et sa mise en œuvre aurait pu se faire dès le début des années 1990, on a perdu une génération. Si les conclusions n’ont pas changé, il y a encore de grandes inconnues dans notre capacité à simuler le climat, tel que le rôle des nuages. Ceux-ci peuvent en effet réfléchir l’énergie solaire et refroidir l’atmosphère ou capter la chaleur qui s’échappe depuis la Terre, comme une couverture: au final, on ne sait pas s’ils ont, au niveau planétaire, un effet net de refroidissement ou de réchauffement.

Les Suisses ont donné un contre-exemple à cette inertie politique en votant «pour la sortie progressive du nucléaire»…
Cette décision peut avoir plus d’impact qu’on ne le croit! Dans les années 1980, au moment de la mise en place des nouvelles normes antipollution, on disait qu’il était impossible d’équiper les petites voitures  de catalyseurs pour réduire les émissions d’oxydes d’azote. La Suisse a poussé les constructeurs à le faire et aujourd’hui plus personne ne remet cela en cause! Des petits pays qui n’ont pas de lobbies industriels forts – automobiles, pétrole, charbon – peuvent donc prendre des décisions courageuses et montrer la voie.

Est-ce que ce résultat est symptomatique d’une prise de conscience globale?
Certainement! Les gens comprennent aujourd’hui le lien entre énergie, climat et environnement. Mais il me semble surtout symptomatique d’une dynamique positive autour de la lutte contre le réchauffement climatique. Le message alarmiste et pessimiste des années 1990 a été improductif pour faire réagir les gens. Des questions comme celles de la transition énergétique permettent au contraire d’aborder la question climatique comme la mise en oeuvre d’une nouvelle aventure économique et industrielle. Elle ouvre la voie à de nouvelles opportunités, de nouvelles technologies, de la croissance: c’est beaucoup plus positif que d’attendre que le ciel nous tombe sur la tête!

On passe de la dénonciation à la recherche de solutions?
Ce n’est pas un hasard, le champ de recherche climatologique a également évolué. De ma spécialisation de départ, qui est de comprendre le phénomène atmosphérique sous l’angle de la physique du système, on est passé à un champ de recherche bien plus interdisciplinaire pour réfléchir aux impacts d’un éventail de changements possibles et aux solutions éventuelles. Prenons la Suisse. Rien ne nous empêche d’imaginer ce que vont être les ressources en eau avec 2 ou 4 degrés de plus. On peut alors penser à des stratégies d’adaptation pour se prémunir contre les risques liés à ce réchauffement. On peut même être proactif et utiliser certains mécanismes physiques pour limiter la hausse future des températures, en plantant par exemple des céréales différentes qui absorbent plus de carbone et permettent de réduire notre empreinte sur le climat: c’est ce qu’on appelle la mitigation.

Dans quel état d’esprit partez-vous à la retraite?
Un peu désemparé! Avec l’avènement d’internet et des réseaux sociaux, tout un chacun peut se proclamer expert en climatologie et prendre la parole sans nuance, limitant l’impact de la parole de chercheurs, qui utilisent le conditionnel par honnêteté intellectuelle! Un tweet de 140 caractères vaut-il vraiment trente ans de recherche? Les gens doivent apprendre à pondérer l’information qu’ils trouvent sur le net, y compris nos étudiants.

Le Journal de l’UNIGE

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