Le sport méritocratique, une grande illusion ?


Les pratiques dopantes dans le sport de compétition ne datent pas d’hier. Au début du vingtième siècle, les cyclistes combinaient déjà stimulants (cocaïne, amphétamines) et analgésiques (morphine, strychnine) dans des cocktails nommés «pots belges».

Au fil des années, substances et procédés utilisés sont devenus plus sophistiqués et difficiles à déceler. Les enjeux financiers de plus en plus importants, le retard chronique des techniques de détection sur la découverte de nouveaux produits dopants et la passivité complice des instances dirigeantes ont favorisé l’installation à grande échelle d’une mentalité de la triche dans le sport de haut niveau.

De peur de démasquer les champions qui font la gloire de leur sport, de nombreuses fédérations cherchent avant tout à protéger les athlètes. Sans l’intervention des forces douanières, policières et judiciaires, beaucoup de scandales n’auraient jamais éclaté. Pour protéger leur fonds de commerce dans l’immédiat, les instances sportives mettent en danger la crédibilité et la raison d’être du sport de compétition sur le long terme.

Les médias eux-aussi jouent un rôle ambivalent dans la lutte contre le dopage. D’une part, ils exposent volontiers les affaires liées au dopage. Lors de grandes manifestations sportives comme le Tour de France ou les Jeux Olympiques, ces affaires constituent désormais un véritable événement dans l’événement. D’autre part, les médias redoutent aussi l’écroulement du système sportif, en soi bien plus vendeur que les affaires de dopage, et la fin des héros qu’ils ont contribué à fabriquer par l’éloge dithyrambique de leurs performances.

D’où viendra donc le salut du sport ? Conscients de l’importance sociale et politique de la pratique, ainsi que du rôle de modèles joué par les vedettes sportives auprès de la jeunesse, le Mouvement Olympique et les gouvernements s’investissent de cette mission. En 1999, ils ont créé l’Agence mondiale antidopage (AMA). Mais l’engagement des Etats n’est pour l’instant souvent qu’une façade. Si 192 pays ont signé la Déclaration d’intention de lutte contre le dopage issue du de la Conférence de Copenhague de 2005, seuls 74 ont ratifié la Convention de l’UNESCO contre le dopage dans le sport, juridiquement plus contraignante.

A l’heure du dopage génétique, le refus de bon nombre de fédérations, médias et gouvernements de faire face au problème de l’amélioration illicite des performances paraît très risqué. Cette passivité pourrait provoquer la fin du sport moderne et des valeurs de mérite et d’égalité à la base de son succès populaire. A moins que la belle époque du sport méritocratique ne soit pas déjà depuis belle lurette révolue et que nous vivions dans une grande illusion.

*www.journaldegeneve.ch No 38, 8 au 14 février 2008

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