Information ou propagande? L’envers du décor, façon Brecht


Chaque jour, j’ai quelques raisons de bondir, tant ce qu’on appelle « information » me paraît proche de la propagande, donc d’une certaine forme de bourrage de crâne.

Par les temps qui courent, les cibles systématiques sont en particulier les Talibans, Al Qaïda, le terrorisme, l’Iran et son « président ultraconservateur », ce qui tend à développer dans la population une forme d’islamophobie, qui va facilement dévier sur une forme de discrimination envers les arabes. Et qui permet, bien sûr, de parler le moins possibles de sujets pouvant mettre en question les pratiques soit financières soit militaires des pays riches.

Mais pour faire diversion, il y a aussi les bons, bien sûr. Ce furent mère Teresa, Jean-Paul II, aujourd’hui le dalaï-lama.

Sans parler des jeux du cirque, qui sont très utiles, (« Schumi », Wimbledon et compagnie). Et les faits divers, qui vont d’une naissance au zoo aux naissances chez notre Federer, en passant par ces dames: miss Suisse et ses amours, Amy Winehouse, Paris Hilton ou Carla Bruni. Pour ce qui est des choses plus sérieuses, ce sont les virus porcins et les successeurs Couchepiniens qui occupent le théâtre de marionnettes.

Et ainsi de suite.

En filigrane de tout cela, il y a l’inévitable: la « crise ». Quels sont dans ce domaine crucial les éléments fournis aux gens permettant réellement de prendre position et de demander que justice se fasse ?

Bertolt Brecht, qui s’est employé toute sa vie à faire réfléchir sur l’envers du décor, a écrit en 1928 une espèce de poème dans lequel il remet en question l’histoire telle qu’elle est le plus souvent présentée, au point qu’elle en devient quasiment une « histoire officielle » .

Questions d’un travailleur pendant sa lecture

Qui a construit la Thèbes aux Sept Portes ?
Dans les livres, on trouve les noms de rois.
Les rois ont-ils transporté les blocs de pierre ?
Et Babylone, plusieurs fois détruite,
Qui l’a tant de fois reconstruite ? Dans quelles maisons
De Lima luisante d’or logeaient les ouvriers qui la construisirent ?
Où allèrent, le soir où la Muraille de Chine fut terminée,
Les maçons ? La grande Rome
Est pleine d’arcs de triomphe. De qui
Les Césars triomphèrent-ils ? Est-ce que Byzance si souvent chantée
N’avait que des palais pour ses habitants ? Même dans la légendaire Atlantide,
La nuit où elle fut engloutie par la mer,
Ceux qui se noyaient hurlaient, réclamant leurs esclaves.
Le jeune Alexandre conquit l’Inde.
Lui tout seul ?
César battit les Gaulois.
N’avait-il pas au moins un cuisinier avec lui ?
Philippe d’Espagne pleura quand sa flotte
Coula. Personne d’autre n’a pleuré ?
Frédéric II gagna la Guerre de sept ans. Qui
A gagné, à part lui ?
A chaque page une victoire.
Qui a cuisiné les repas de victoire ?
Tous les dix ans un grand homme.
Qui en a fait les frais ?

Autant de récits,

Autant de questions.

Bertolt Brecht (1928)

Sur le mode de Brecht, j’ai, dans un article sur une dépêche de presse à propos de l’Afghanistan, posé quelques questions. On pourrait pratiquer ce questionnement à propos de bien des «informations» de ce type.

« Afghanistan : Carnage chez les Talibans »

Ceci est une dépêche trouvée sur le télétexte de la télévision romande le 15 mai 2007. Le titre est également celui de cette dépêche. Ce texte est reproduit sans aucune modification.

« 60 Talibans ont été tués lors d’une frappe aérienne menée par les forces de l’OTAN dans la province de Kandahar, dans le sud de l’Afghanistan. Parmi les victimes figureraient trois commandants, selon la police.

Les bombardements ont touché lundi soir trois villages de la province dans lesquels les troupes au sol sont entrées mardi, a expliqué le chef de la police. Les forces gouvernementales et étrangères engagées dans ces attaques n’ont aucune perte, a-t-il ajouté.

Le district de Zahri, ancien bastion des Talibans, a été le théâtre de multiples combats entre l’OTAN et les insurgés. »

Imaginons un instant comment tout cela a pu se passer. Imaginons des paysages afghans, selon la représentation que nous en avons. La campagne n’est pas urbanisée comme dans nos pays, la vie quotidienne se déroule de façon très simple, et moins bruyante que chez nous. Dans ce cadre, et dans les circonstances actuelles, on peut imaginer une sorte de guérilla où les combattants sont mélangés à la population, passant d’une région ou d’un village à l’autre.

L’opération-massacre des occupants occidentaux a été bien préparée. L’attaque est soudaine. Imaginons ces villages, tout d’un coup pris dans un enfer de bombes, de feu et de fumée.
Questions sur cette dépêche faite par des professionnels de l’information:
Que penser du bilan final: 60 à 0 pour les Occidentaux ?

N’y a-t-il pas aussi des femmes, des enfants et des vieillards dans les villages ?

Est-ce de l’humanisme ou de la virtuosité dans l’art de la frappe que de ne tuer que des Talibans, à l’exclusion de toute autre personne ? Et sans faire de blessés ?

Et, parlant de ces « Talibans », s’agit-il de Talibans, d’insurgés ou de résistants ?

Et si ces « Talibans » se trouvaient dans d’autres villages au moment de l’agression occidentale ?

Une « frappe aérienne », est-ce une bombe (qui à elle seule détruit trois villages à la fois), quelques bombes ou est-ce synonyme de déluge de bombes ?

Le « chef de la police », était-ce le chef de la police du village ?

Qu’est-il resté de ces villages qu’on a « touchés » ?

Les troupes au sol arrivées le lendemain dans les villages n’ont subi aucune perte. Pourquoi ?
Bernard Walter

Je voudrais ajouter en guise en conclusion une information que j’ai eu la bonne fortune d’attraper sur la chaîne américaine CNN. Cette information apporte un éclairage cru sur la façon dont, en certaines circonstances, les nouvelles sur des domaines de l’actualité dits „sensibles“ peuvent être diffusées.
Il s’agissait d’un briefing de presse à à Washington, juste avant le début de l’invasion de l’Irak par les Américains en 2003. Le chef de presse de la Maison Blanche, dans son bref discours aux journalistes privilégiés appelés à couvrir l’actualité en Irak, fit une mise en garde qui avait le mérite de la clarté: „Messieurs, vous êtes invités à ne retransmettre que les informations qui vous seront données par le commandement militaire. Ceux qui ne se conformeront pas strictement à cet ordre auront à se faire du souci pour leur avenir. Et non seulement eux, mais aussi leurs familles.“

En trouvant le nom de „shock and awe“, „choc et terreur“, pour cette opération militaire illégale contre l’Irak, peut-être le gouvernement américain a-t-il eu également une petite pensée pour les journalistes qui seraient envoyés sur le terrain ?

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Un commentaire à “Information ou propagande? L’envers du décor, façon Brecht”

  1. une soeur 26 août 2009 at 21:38 #

    Quand je lis ceci je me sens moins seule. Chaque fois qu’on nous parle de frappes, drones, de tués par les troupes de l’OTAN je sursaute. C’est comme si c’est un peu de nous que l’on tuait. Ces gens que l’on massacres ce sont des êtres humains. merci à B. Walter d’avoir eu la force de ce cri.

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