Egypte, la peur du vide


Les fils Moubarak, Alaa et Gamal, ainsi que le père Hosni, ont été arrêtés et placés derrière les barreaux de la prison de Tora au sud du Caire. Ils sont allés rejoindre, pour une durée de 15 jours, les membres de la dernière équipe gouvernementale le temps que les investigations se développent sur les accusations de corruption, d’enrichissement illégal, et de violences sur manifestants. Pour rappel, 800 personnes sont décédées du fait de la répression policière lors des 18 jours du soulèvement populaire.

Le jugement de la famille Moubarak était l’une des demandes principales des jeunes du 25 janvier, qui satisfaits, ont renoncé à l’organisation d’une manifestation massive place Tahrir, vendredi dernier 15 avril. C’est aussi pour eux une prise de position claire de l’armée : ces poursuites judiciaires démontrent que les efforts tous azimuts pour faire triompher la contre-révolution observés ces jours derniers comme la tentative d’instaurer un climat de sédition confessionnelle, n’ont pas porté leurs fruits. Même si un doute subsiste quant à la suite qui sera donnée à ces emprisonnements. Le procès sera-t-il vraiment mené à terme ou fera-t-il l’objet, comme cela a souvent été le cas dans le passé quand des personnalités de l’ancien régime étaient éclaboussées par des scandales, de manipulations diverses pour les blanchir? En réalité, cette dernière issue semble désormais peu probable.

Pendant 30 ans de règne, le régime Moubarak a su écraser dans l’œuf tous les germes de la révolte provoqués par sa toute puissance, au point d’annihiler la conscience politique de la population. Mais celle-ci vit aujourd’hui une jubilation qui la conduit aux extrêmes. La soif de vengeance est ainsi très palpable à Charm-el-Cheikh, station balnéaire où l’ex-raïs résidait la majeure partie de l’année, faisant de la vie quotidienne des citoyens ordinaires un cauchemar tant le harcèlement et les humiliations étaient devenus courants dans le souci d’assurer la sécurité de la cité.

La peine de mort étant en vigueur en Égypte, des voix s’élèvent pour réclamer que Moubarak subisse la pendaison. Le président de la Cour d’appel du Caire, Zakaria Shalash, a d’ailleurs déclaré il y a quelques jours que le procès de l’ancien président pourrait durer un an et conduire à la peine capitale. De quoi figer d’effroi la population. Difficile pour elle d’imaginer que cet homme devenu au fil des années une composante de l’inconscient collectif par son omniprésence, puisse être ainsi être froidement éliminé. L’idée est improbable mais elle provoque une peur panique. Celle d’une perte d’identité pour des millions d’Égyptiens, avec un immense vide dans lequel ils imaginent mal qui pourrait s’engouffrer.

Cette peur du noir explique aussi la popularité de l’actuel secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Moussa, candidat à la prochaine élection présidentielle. S’il représente par bien des côtés une personnalité de l’ancien régime, il s’est aussi montré critique à son égard ces dernières années. Et finalement, son accession à la fonction suprême constituerait un compromis qui donnerait à la chute de Hosni Moubarak la forme d’une semi-révolution, en attendant que la vie politique gagne en maturité. C’est qu’on ne se débarrasse pas si facilement d’un Moubarak. La révolution a encore de belles années et bien des soubresauts devant elle.

Article paru dans “Tremblements d’Egypte

Photo DR : Une corde de potence décore la vitre arrière d’un taxi au Caire.

 

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