Egypte, le blackout de la presse


“La nature a horreur du vide” disait le philosophe grec Aristote. Son aphorisme pourrait aussi s’appliquer aujourd’hui aux médias égyptiens. Car depuis la chute de Moubarak, et surtout ces dernières semaines, aucun des grands titres de presse ou presque, n’ose émettre une once de critique à l’égard des forces armées au pouvoir depuis le 11 février. Comme si, effrayée de prendre son envol et ne sachant que faire de cette nouvelle liberté, le plus rassurant pour elle ne serait qu’un autre cocon autoritaire qui briderait fort heureusement son émancipation. Ces jours-ci, la presse nationale excelle surtout dans la propagation d’informations non sourcées, qui prennent vite la forme de rumeurs extravagantes par un bouche à oreille forcené – caractéristique du Moyen-Orient – avant de sombrer tout aussi rapidement dans l’oubli.

Mais revenons à nos moutons. Puisque la presse égyptienne refuse de traiter les centaines de traductions en justice militaire de simples civils, et après la journée contre le Conseil Suprême des Forces Armées, les blogueurs ont décrété le 1er juin “Journée nationale contre les procès militaires”.

Le sujet des brutalités de l’armée et des procès qui s’en suivent a été ravivé le 31 mai quand la chaîne d’information américaine CNN a diffusé un reportage sur les tests de virginité pratiqués il y a deux mois sur de jeunes activistes, et justifiés par un haut gradé “pour s’assurer qu’elles n’avaient pas été violées par un soldat”. Le conformisme de la société égyptienne, qui ne conçoit les relations sexuelles que dans la pureté des liens du mariage, n’a d’égal que le culot de ce genre d’arguments. Le but de ces tests était en réalité de démontrer que la promiscuité entre hommes et femmes dans les tentes installées place Tahrir développait la décadence de la jeunesse, qui serait alors frappée d’opprobre social.

Selon les statistiques difficilement établies par les manifestants et ONG, il y aurait entre 6000 et 7000 activistes pro-démocratie en ce moment dans les prisons militaires, sans compter les jeunes disparus que l’on recherche encore. Ils devraient tous être soumis à la justice martiale, et quand l’indignation se fait trop bruyante chez les blogueurs et journalistes, les voilà immédiatement emmenés chez les généraux. C’est le cas de Reem Maged, l’intrépide qui a fait preuve d’un criticisme “déplacé” dans son Talk Show sur le chaine satellite OnTV. Elle a été libérée après quelques heures d’interrogatoire.

Dans ces conditions les (pas si vieux) réflexes de l’autocensure se rétablissent tout naturellement et “le journalisme de pyjama” est une option plus tranquille pour ceux qui n’hésiteront pas à se prévaloir bientôt d’une nouvelle avancée vers la démocratie. Il en va ainsi de la “révolution” en Égypte: l’inconsistance d’une certaine élite ne relaie pas l’enthousiasme de la jeunesse, qui refuse depuis vendredi 27 mai tout dialogue avec l’armée.

Article paru dans “Tremblements d’Egypte

 

 

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