Une société fragilisée


Dans un temps pas si lointain, la société pouvait s’appuyer sur quelques institutions non discutées. Cela contribuait à une certaine stabilité qui permettait à chacun d’agir, dans son champ de compétences, sans devoir composer continuellement avec des contraintes extérieures aussi soudaines que désordonnées.

Dans les villages et même dans les petites villes, l’autorité extérieure au foyer familial reposait sur l’instituteur (appelé aussi le régent) détenteur et dispensateur d’un savoir, sur le curé ou le pasteur gardien de la morale et ambassadeur de la félicité éternelle, ainsi que sur le maire représentant de la loi et de ses contraintes. Ces trois personnages forçaient en principe et, on pourrait dire, naturellement le respect.

Un manque de reconnaissance

Les jeunes enseignants n’ont pas connu ce temps heureux pour leur corporation. Leurs anciens en parlent parfois avec la larme à l’œil. Parce que leurs conditions de travail (oh le vilain mot pour ceux qui croient encore exercer un apostolat!) se sont passablement péjorées.

Mentionnons pour commencer les parents qui se sont sentis concernés par la mission de l’école. Jusque là, rien à dire. Car une implication des collectifs de parents dans les affaires scolaires (au travers des associations de parents d’élèves) est utile et nécessaire. Non pas, évidemment, pour défendre aveuglément et partialement leur progéniture ou pour imposer unilatéralement leurs vues, mais pour prendre en compte les préoccupations de l’institution scolaire et pour affirmer une volonté de partager avec l’enseignant les responsabilités éducatives.

En revanche, à titre strictement individuel, certains parents s’autorisent à mettre directement en question qui les compétences, qui l’équité, qui le comportement du formateur de leurs enfants. Et dans ces cas particuliers, le dialogue est trop souvent mal engagé, notamment à cause de la forme, dès le départ agressive, donnée à l’intervention.

Cette intrusion intempestive de personnes extérieures à l’institution et les pressions qui en découlent, ajoutées au manque de reconnaissance de leur rôle, sont mal vécues par de nombreux enseignants, atteints dans leur honneur professionnel. Une atteinte à leur statut social douloureusement ressentie.

Des statuts sociaux ébranlés

Les ministres du culte, aussi bien catholiques que protestants, sont aujourd’hui directement touchés par la désaffection progressive et semble-t-il irréversible de leurs ouailles à l’égard de la religion. Il est loin le temps où les ecclésiastiques étaient considérés comme des directeurs de conscience. Ce désintérêt des paroissiens ne se mesure pas seulement à la baisse de fréquentation des églises. Cela ne se traduit même pas par une forme de rejet voire de mépris du clergé, qui serait encore une forme de reconnaissance. Ce serait plutôt l’indifférence qui prévaudrait. Et pour les intéressés, la blessure d’amour propre n’est peut-être pas aussi bénigne qu’il y paraît. La démotivation transparaît d’ailleurs dans le «service minimum» que l’on peut constater lors de certaines cérémonies funèbres.

Les fonctions politiques, quant à elles, n’ont plus l’aura qu’elles avaient il y a encore quelques dizaines d’années. Les maires et leurs conseillers, pour beaucoup, ont perdu l’autorité autrefois attachée à leur fonction. La légitimité, conférée par le suffrage universel, ne les protège plus contre une remise en question régulière de leurs compétences politiques, techniques ou économiques. Rarement remerciés, encore moins encensés, au contraire souvent attaqués, les élus locaux sont devenus assez systématiquement les boucs émissaires, notamment des clients de la table ronde du Café du Commerce. Même si ça ne fait pas encore beaucoup de monde autour de cette table, ça devient vite difficile à supporter. Et tout ça ne favorise évidemment pas les vocations.

Ainsi, l’absence de reconnaissance des fonctions sociales de ces institutions et le manque de respect à l’égard de leurs «agents» fragilisent la société et portent en germe une dérive populiste vers une forme de barbarie.

Article paru dans “Courant d’Idées

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