Poya, l’opportunité de faire mieux


Le Vacherin fribourgeois a un caractère affirmé et le Gruyère est fier de ses origines. Avec les dépassements scandaleux qui frappent tous les chantiers publics à Fribourg, ce n’est pas le fromage qui est à la carte mais les couleuvres que les citoyens avalent..

PAR NARCISSE NICLASS

Les bords que baigne la Sarine sont chers au coeur des Fribourgeois, dit la chanson populaire. Cette rivière donne son charme à la ville et oblige, depuis le XIIIe siècle, à construire des ponts.

Au XIXe siècle, Fribourg était célèbre en Europe pour ses ponts suspendus et les orgues de sa cathédrale. La construction en acier du viaduc de Grandfey, par Gustave Eiffel, sortira la région de son isolement. Ce pont, inauguré il y a 150 ans, le 19 août 1862, long de 333 m, a été habillé de béton au XXe siècle pour s’adapter aux énormes charges des trains électriques. Aujourd’hui, ce pont est enrichi de l’oeuvre «Maillart Extended» de Richard Serra afin de rappeler ses origines métalliques.

L’important, dans l’histoire de cet ouvrage, est son implantation en un lieu judicieux, hors la ville. En 1971, l’autoroute franchira la Sarine au même endroit avec un pont long de 320 m. Ce qui s’appelle le pont de la Poya répond à un besoin exprimé au début du XXe siècle, voire avant. Les propositions sérieuses de franchissement de la rivière datent au moins de 1923, avec l’idée de doubler le pont de Zaehringen plus au nord. Cette vision faisait suite à un concours de la ville. Depuis 1920, cette question de franchissement de la Sarine a été posée régulièrement. Les réponses ont été parfois étonnantes. Rappelons que le quartier du Schoenberg n’existait pas. La cité a échappé au pire. Le sommet fut atteint dans les années soixante avec la proposition de créer une voie de traversée express. C’était avant l’ouverture de la N12. Ce dossier, riche et édifiant, est aux archives de Pro-Fribourg, mouvement citoyen fondé par Gérard Bourgarel, décédé en septembre. Ce dernier a voué cinquante ans de sa vie à la défense de sa ville qu’il habitait et qu’il aimait.

Montre la lune à un idiot, il regarde le doigt. Le problème du pont de la Poya est là. Pendant 100 ans, les décideurs de la ville et du canton ont toujours voulu construire ce nouveau pont dans la ville.

Les conditions de la mobilité ne font qu’empirer dans l’agglomération. Il n’est pas nécessaire de lancer des études pour le savoir. Piétons, cyclistes, usagers des transports publics, automobilistes, tous sont mécontents. La Ville ne se donne pas les moyens d’une politique cohérente et globale. Le canton présente un projet isolé à chaque période électorale. L’absence de vision et même d’utopie ont plombé la qualité de vie dans l’agglomération. Exemple, le pont de Pérolles a été élargi sans aucun avantage pour les habitants de Marly. L’Etat  a bloqué la circulation à l’entrée de la ville, en concentrant sur ce faible périmètre Ecoles spécialisées, université, instituts et collèges. Avec la même vision étroite, les Administrations squattent la ville. Il est trop tard pour revoir la copie du pont de la Poya mais peut-être le désastre de la gestion des chantiers par le Département de l’aménagement, de l’environnement et des constructions servira-t-il d’électrochoc? Faut-il interrompre le chantier du pont de la Poya comme quelques voix le suggèrent? Par manque de relève Pro-Fribourg perd de son mordant mais ses critiques demeurent justes.

La cité de Zaehringen ne peut plus se permettre le luxe d’ignorer ses voisines. Ces communes, ceinture de la ville, doivent jouer une carte globale. Il en va aussi de la qualité de vie de leurs habitants.

Il y a plus de dix ans, la Conseillère d’Etat Roselyne Crausaz signait des courriers annonçant la couverture de l’autoroute à La Chassotte à Givisiez. Rien n’a été entrepris par ses successeurs.

Fribourg a perdu, ces derniers trente ans, les moyens de devenir un centre fort en Suisse. Année après année, son image internationale de Ville d’art et d’études a été cassée. Jean Tinguely est ses amis sont morts. La chance ne passe pas deux fois. La libre Sarine focalise les regards et nous entraîne vers l’eau, vers le bas. Au lieu de suivre la pente, soyons fous! Sortons des murs! Dirigeons notre regard et notre potentiel sur un autre cours, celui de l’autoroute, que l’on a créé et voulu. Techniquement et économiquement, il est possible de gagner des milliers de mètres carrés de terrains à bâtir, en couvrant la N12 entre Forum Fribourg et Moncor. Cet espace sera conquis par les services de la Ville de Fribourg qui revalorisera la notion de service public. Ainsi, les anciens locaux libérés seront dévolus à l’habitat. Le coeur de Fribourg renaîtra.

Cette tranchée routière deviendra un lien, un lieu de rencontre. Cette rivière de services publics sera facilement accessible tout le long de son tracé. Cet espace sera parcouru par des véhicules électriques Serpentine, développés et opérationnels depuis 1998, à l’EPFL. Ce sera aussi une artère pour les cyclistes et le lieu d’implantation du centre équestre de la future police montée. Fribourg fera une première suisse et mondiale en inventant l’autoroute pédestre.

Article paru dans la “Cité” du 19 octobre au 9 novembre 2012

 

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2 commmentaires à “Poya, l’opportunité de faire mieux”

  1. Christoph Schütz 22 octobre 2012 at 22:50 #

    Arrivé du Canton de Berne il y a 15 ans, je constate que ne se sont pas les têtes intélligentes et visionnaires qui dirigent ce Canton de Fribourg, mais plutôt les “intouchables” qui se sentent encore dans une autre époque, où il n’y avait ni séparation de pouvoir ni l’avis du peuple. La politique de l’aménagement et de la mobilité – dont le Pont de la Poya fait partie – est un bon exemple pour le “mismanagment” de ce Canton.

  2. Gérard Ducarroz 27 octobre 2012 at 17:44 #

    Tout-à-fait d’accord avec cet article. J’ai dit et redit durant toute ma vie professionnelle et politique que l’on voit toujours trop petit… on a même magnifié la grandeur du petit. Et cela est valable pour la Suisse entière.
    A quand l’imagination, l’esprit de création, d’innovation, le courage politique ?

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