Swatch: l’air des sommets


Swatch, vous connaissez? 

PAR MARC SCHINDLER

Non, je ne vous parle pas de la petite montre au bracelet en plastique. Je vous parle du premier groupe horloger mondial, le géant qui a vendu pour 8,8 milliards de francs suisses (environ 7,2 milliards d’euros) et dont le bénéfice a bondi de 20% à près de 2 milliards de francs (environ 1,6 milliard d’euros). Et cela malgré un franc suisse surévalué, qui lui a coûté plus de 100 millions (environ 80 millions d’euros). Bon d’accord, Swatch a encaissé 400 millions (environ 320 millions d’euros) du joailler américain Tiffany après l’échec d’une entreprise commune et une longue bagarre judiciaire. N’empêche, vous en connaissez beaucoup, vous, d’entreprises qui gagnent de l’argent en vendant des produits de consommation en temps de crise et qui régalent leurs actionnaires en leur offrant un dividende augmenté de 11%? La Fédération horlogère suisse est dithyrambique : «Une nouvelle envolée vers les sommets».

Comme le rappelleThe Economist”, «personne n’achète une montre suisse pour lire l’heure». Elle coûte en moyenne 600 euros, alors qu’une montre chinoise revient à 2 euros. Alors, comment fait Swatch pour gagner des millions? Sa présidente, Nayla Hakey est la fille de Nicolas Hayek, le gourou qui a sauvé l’horlogerie suisse dans les années 70. Pas en créant la montre en plastique, mais en forçant les marques horlogères à collaborer face à la menace japonaise et en trouvant de l’argent auprès des banques. Cet industriel hors normes, mort au bureau en juin 2010, a créé un empire de 20 marques horlogères, du bas de gamme à la montre de luxe: Swatch, Rado, Tissot, Longines, Omega, Harry Winston. Il a placé sa famille aux commandes: sa fille Nayla à la présidence, son fils Nick à la direction générale, son petit-fils Marc aux futures responsabilité et sa veuve Marianne en gardienne du trésor, qui vaut en bourse plus de 25 milliards d’euros.

Mais comment ils font, ces Suisses pour gagner autant de pognon? Elémentaire, mon cher Watson, explique sa présidente dans une interview au quotidien suisse leTemps: «La première priorité de Swatch Group? Se concentrer sur la croissance organique de ses vingt marques.» En clair, Swatch va développer ses affaires en investissant dans ses usines. Nayla Hayek: «Nous disposons de suffisamment de cash, 1,8 milliard de francs (environ 1.5 milliard d’euros), pour nous assurer un maximum de flexibilité. Il faut qu’une acquisition fasse sens. Mon père Nicolas nous a appris que tout à un prix, mais il doit être raisonnable. Ce n’est pas la politique du groupe de jeter l’argent par les fenêtres.». L’an dernier, Swatch s’est payé une pépite: le joailler américain Harry Winston pour 560 millions d’euros. Une gestion de bon père de famille, pas de gaspillage de millions pour élargir la gamme: quand on a tout, pourquoi racheter des concurrents?

Swatch, c’est une multinationale gérée comme un affaire de famille, selon sa présidente: «Il faut impérativement que l’esprit familial demeure, car malgré nos 33 600 collaborateurs, c’est toujours la principale force et l’âme du groupe, selon les principes mis en place par mon père. Certes, un groupe important, voire grand en termes de ventes, mais petit, à l’échelle d’une famille.» Toujours l’ombre du gourou qui inspire ses successeurs. Nicolas Hayek n’a jamais écouté l’avis de personne, il a décidé seul de ses choix industriels, il a fustigé publiquement la politique de la Banque nationale suisse. En 2009, il avait même refusé de livrer ses mouvements mécaniques à ses concurrents, comme Bulgari, Piaget et Vacheron Constantin, qui font de la pub et des ventes sur son dos. Une sacrée menace: Swatch possède des filiales qui fournissent 70% des mouvements de montres. Fureur et plainte à la Commission de la concurrence, qui a finalement transigé: jusqu’en 2019, Swatch devra servir aussi ses concurrents, Après? Swatch ne servira que ses clients fidèles, «ceux qui ont toujours respecté leurs engagements», environ 30% du marché. Les autres fabricants devront produire eux-même leurs mouvements. Quand on a toutes cartes en main, on fixe les règles du jeu.

Derrière l’enjeu de cette bagarre industrielle se cache une autre bataille, celle du Swiss Made, une appellation très juteuse pour les fabricants de fausses montres suisses. Vous pensiez, clients crédules, qu’une montre suisse était fabriquée intégralement en Suisse? Tout faux. Selon la Fédération horlogère suisse: «Une boîte de montre est considérée comme suisse si elle a subi une opération essentielle de fabrication en Suisse (étampage, tournage ou polissage); si elle a été montée et contrôlée en Suisse; et si plus de 50% du coût de fabrication (valeur de la matière exclue) sont représentés par des opérations effectuées en Suisse.» Les concurrents de Swatch aimeraient porter ce seuil de 50% à 60%. Pourquoi ? Mais pour stimuler la demande de mouvement suisses de montres, même si Swatch réduit ses livraisons. Dans la lutte pour le marché horloger, l’air des sommets peut provoquer le mal aigu des montagnes: «un mal de tête résistant aux analgésiques, la perte d’appétit, la nausée et une fatigue anormale par rapport à l’effort.»

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