Taoua: l’audace l’a emporté!


La quasi totalité des partis politiques, l’ensemble des médias locaux, les associations économiques, l’ASLOCA, les autorités politiques de droite comme de gauche, tout ce que la ville compte de people, «communicants», personnalités, architectes en vue, patrons et autres huiles plus ou moins essentielles: ils étaient tous pour, ils n’ont pas ménagé leurs efforts… et pourtant le peuple vient de refuser la tour Taoua.

PAR JULIEN SANSONNENS

Quelle audace! On dit les Vaudois mesurés et consensuels, on les découvre cet après-midi – et avec quel plaisir – frondeurs et farouchement indépendants d’esprit!

Alors bien sûr, il s’en trouvera pour juger le vote serré: la victoire, en réalité, est franche, massive, sans appel. Le comité référendaire, appuyé de l’extrême gauche, de l’UDC et de quelques associations locales, a fait campagne contre l’ensemble de ce que la ville compte d’intérêts puissants, avec un budget dix, cent ou mille fois inférieur à celui des partisans de feu la tour: gageons que si les opposants avaient disposés des mêmes moyens financiers et des mêmes relais médiatiques, l’objet disgracieux aurait été refusé à 70 ou 75 %.

Le rôle du parti socialiste

Alors que l’on prête au PSL des ambitions de syndicature, les électeurs sauront se rappeler du rôle trouble joué par les roses dans cette affaire: voici un parti de gauche prêt à dérouler le tapis rouge à la multinationale Bouygues – elle qui, en cas de oui, aurait été la seule grande gagnante de l’opération, la parcelle lui étant cédée à prix d’ami –, prêt à laisser construire un mur de béton hideux ne comportant que trente (!) logements à loyers modérés, prêt à sacrifier toute considération urbanistique sérieuse au nom du sacro-saint principe de «modernité» et de «développement de la ville», ces deux concepts abstraits érigés en dogme.

Voici une force de gauche marchant main dans la main avec le parti libéral-radical, le lobby de l’hôtellerie et de l’immobilier, dans l’une de ces alliances contre-nature dont il a le secret… La population vient de signifier qu’elle n’acceptera pas que l’intérêt général, le logement abordable et l’esthétique de la ville soient ainsi sacrifiés sur l’hôtel de je ne sais quelle «modernité» ou du désir de quelques élites de «laisser une trace à la postérité». Assez de ces poussées pathologiques de gigantisme, assez de ce complexe de «petite ville» qui se rêve mégapole et érige ses tours comme d’autres mesurent la taille de leur zizi à l’arrière de la cour de récré! Quand va-t-on enfin questionner ce dogme aveugle du développement-pour-le-développement? L’arc lémanique n’a-t-il pas encore assez payé pour cette «croissance» non contrôlée qui péjore année après année la qualité de vie de ses habitants ?

Sur l’esthétique de la chose

Soyons clair: les opposants ont été bien aidés par la laideur absolue du blockhaus. Qu’en 2014, il soit encore possible de proposer une sorte de tour Bel-Air II, pourtant imaginée il y a un siècle, voilà qui ne manque de surprendre: même parallélépipède de béton gros et vulgaire, même aspect compact, pesant, lourd, austère, gris. Une tour qui parvient, ce n’est pas un mince exploit, à paraître en même temps trop tassée et trop haute, en tous les cas ennuyeuse à mourir….
Peut-on sérieusement proposer aujourd’hui de rajouter un peu de volume et quelques dizaines d’étages à la tour Bel-Air, décaler ridiculement l’ordonnancement de ses fenêtres comme seule fantaisie, l’affubler d’un inévitable nom en anglais vaguement branchouille (Taoua étant une déformation supposée être «jeune urbain cool» de «tower») et faire passer l’ensemble pour le nec plus ultra du contemporain? Allons bon…

Qu’on nous propose des tours réellement novatrices, innovantes sur le plan architectural, légères, hautes pourquoi pas mais épurées, élancées, quelque chose avec du verre où les nuages se reflètent, des matériaux et des formes rappelant les lieux, la région – ce n’est pas réac, mais non! – , le ciel et le lac, et il sera peut-être possible de faire passer un tel projet devant le peuple! Un monolithe de béton ringard et déjà effroyablement «vingtième siècle» comme signe de modernité de notre ville? Vraiment?

Un signal fort pour la démocratie locale

Enfin, sur le plan démocratique, la votation contre la tour Taoua est très réjouissante: il est possible, même sans moyen mais avec des arguments solides, de la motivation et beaucoup d’engagement sur le terrain, de faire passer ses idées contre des intérêts puissants et organisés. Voilà qui ne peut que réjouir celles et ceux qui s’engagent sans beaucoup de moyens pour la collectivité! Bravo au comité d’initiative, qui a travaillé avec efficacité et courage, bravo au mouvement de défense de Lausanne qui n’a jamais aussi bien porté son nom, à la gauche combative (POP & solidaritéS) et à toutes les autres organisations ayant rendu ce résultat possible. Ce soir, notre ville est incontestablement plus forte.

L’auteur est responsable de recherche en santé publique. Il anime le site culturel JS Blog.

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Un commentaire à “Taoua: l’audace l’a emporté!”

  1. magnin Eric 14 avril 2014 at 00:01 #

    Il est indispensable que soit mis sur le métier l’étude bloquée depuis 2011 : ” Stratégie pour l’implantations des tours dans l’agglomération lausannoise”. Le législatif lausannois est entré en matière sur le premier préavis concernant taoua, sans en avoir pris connaissance! Trois ans plus tard en 2014, la situation est toujours la même, l’étude par contre est disponible. Ce document doit servir de base pour ouvrir un large débat public pour savoir si oui ou non il faut construire des tours et si oui où et à quelles conditions! Il n’est pas envisageable de laisser ce choix aux privés. Quel beau challenge pour “nos” élus! Lors des élections communales ils sont élus avec une participation qui voisine les 25 % (75 % d’abstention!!!). Aujourd’hui le taux voisine les 38 %!

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