Jura peau de chagrin


Il y a bientôt 40 ans, le 23 juin 1974, le peuple jurassien acceptait majoritairement la création d’un nouveau canton suisse.

PAR JEAN-CLAUDE CREVOISIER

Une année plus tard, grâce à une procédure taillée unilatéralement sur mesure par ses autorités, Berne récupérait une partie du territoire jurassien.

Le vote du 24 novembre 2013 devait, lui, ouvrir la porte à un possible effacement de la division du Jura historique. Un résultat massivement négatif dans le sud du Jura a rendu totalement illusoire cette espérance. Le corps électoral dans cette partie du Jura est aujourd’hui constitué d’environ un quart de Jurassiens aspirant à l’autonomie, un tiers de Bernois ou de personnes acculturées comme tels et pour le solde d’indifférents ou d’intéressés au statu quo, ainsi que l’a parfaitement montré Alain Charpilloz dans un de ses éditoriaux de l’hebdomadaire le “Jura Libre”.

À peu près assurés du vote positif des premiers, faisant leur deuil de l’avis des seconds, c’est sur cette dernière catégorie de citoyens que reposait, le 24 novembre 2013, l’espérance des partisans d’un canton regroupant les six districts francophones du Jura historique (dont j’étais). Si dans le canton du Jura, les votants ont, eux, écouté aussi bien leur cœur que la raison, la campagne politique des autonomistes avant ce vote n’a pas réussi à convaincre dans les trois districts restés bernois. Rien n’y a fait. La ligne de front n’a pas bougé. La situation s’est même localement aggravée, sauf à Moutier.

Comment en est-on arrivé là?

Il faut bien constater que le Mouvement autonomiste jurassien (MAJ), héritier du Rassemblement jurassien (RJ), a perdu une grande partie de sa substance. Il n’est plus implanté dans le terrain, comme à la grande époque des années septante, avec des sections pratiquement dans chaque village jurassien, y compris dans le sud (1). De plus, la diffusion de l’organe officiel du MAJ est devenue presque confidentielle. Seuls restent vivants et actifs quelques rares noyaux locaux. Dont un suffisamment fort à Moutier, ce qui explique d’ailleurs le résultat obtenu dans cette ville.

Le MAJ n’est donc plus un groupement populaire de masse. Il n’a malheureusement pas su rester un acteur majeur dans la vie politique jurassienne. Les difficultés à donner de l’éclat et du retentissement à la Fête du Peuple jurassien et même à la pérenniser, chaque année en septembre à Delémont, témoignent de cet état de fait.

Il serait toutefois excessif et certainement faux de mettre la responsabilité du résultat du vote du 24 novembre 2013 sur cette seule forme de désengagement territorial du MAJ. Le score réalisé dans le canton du Jura, avec 77% de oui, infirmerait d’ailleurs une telle accusation. On peut toutefois penser que, dans le sud du Jura, le résultat n’aurait pas été fondamentalement différent mais qu’il aurait certainement pu être moins catastrophique.

Un autre acteur, l’État jurassien, porte lui une part de responsabilité dans l’échec de la tentative de réunification de novembre 2013. État de combat, avait-on ambitionné à l’époque. Or seul le canton de Berne, et cela dès 1815 déjà, en fût constamment un, d’État de combat. Le «Kulturkampf» au XIXe siècle, les tentatives de germanisation au début du XXe, la procédure plébiscitaire unilatéralement imposée dans les années septante le démontre à l’envi. De son côté, le canton du Jura, au nom d’un certain réalisme politique bien helvétique et, reconnaissons-le, d’un souci légitime d’intendance s’est au contraire très rapidement «coulé dans le moule helvétique». Avec, pour conséquence de perdre, aux yeux de ceux qu’il était censé convaincre (à l’intérieur comme à l’extérieur), tout avantage concurrentiel. C’était aussi oublier que le sort des agneaux est d’être régulièrement tondus.

De plus, lorsque des enjeux importants se sont présentés à lui, les urnes ont coupé les ailes de projets pourtant emblématiques : le refus de l’achat du Château de Delémont pour y installer le pouvoir cantonal et, plus grave, l’opposition au grand projet «Jura pays ouvert». Un projet qui devait permettre de développer le pays démographiquement (et sous-entendu économiquement, socialement et culturellement). Un projet aussi qui incitait les services administratifs à se décloisonner et à s’ouvrir (notamment à des partenaires privés) tant pour favoriser les synergies que pour augmenter de ce fait l’efficacité dans l’action publique.

Il appartient maintenant, malgré cela, au canton du Jura et à sa population de montrer leur capacité à accueillir généreusement la ville de Moutier comme membre, à part entière et respectée, de la famille jurassienne.

(1) Un dispositif est mis en place et géré alors par les regrettés Marcel Bréchet et Gabriel Roy, secrétaires généraux adjoints.

Article paru dans “Courant d’Idées“.

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