Magie du paysage russe à Lausanne, Renoir à Martigny


Lausanne, Musée des beaux-arts; Martigny, fondation Gianadda. Voilà deux rendez-vous offerts à l’amateur selon l’acception latine: celui qui aime!

PAR ROBERT CURTAT

Et c’est vrai qu’on ne peut qu’aimer le paysage russe tel que nous le propose une belle équipe de peintres dont les œuvres s’étagent de 1855 à 1917. Comme leurs amis impressionnistes français ils ont refusé l’exercice imposé par l’Académie impériale des Beaux-Arts à Saint-Pétersbourg pour planter leur chevalet au cœur du paysage russe. Ce qu’ils nous disent à travers septante œuvres remarquables, chefs-d’œuvre de la galerie nationale Trétiakov de Moscou, c’est l’engagement du peintre dans la construction d’une société qu’ils imaginent moderne et démocratique.

Quarante artistes majeurs présents sur les cimaises du Musée de Lausanne témoignent de leur vision du:

– Paysage lyrique parfaitement intégré dans l’œuvre de Savrassov dont on dira qu’il est le premier peintre à réunir sur une toile le paysage russe et l’espoir d’un printemps proche. Cinq œuvres de ce très grand artiste figurent dans l’exposition;

– Paysage romantique porté entre autres par Aïvazovski, un artiste connu dans toute l’Europe, infatigable voyageur et, officiellement, peintre de la marine impériale. Trois tableaux nous présentent sa vision de la mer;

– Paysage naturaliste qu’on identifie dans un peintre Chichkine avec, sur nos cimaises, deux tableaux qui nous disent le soin que cet artiste met à la présentation du paysage russe;

– Paysage symboliste, dominante de l’œuvre de Nesterov dont deux tableaux de l’exposition disent l’attention qu’il porte au décor, mais aussi à ceux qui l’habitent : vieillards, femmes et même un petit renard inattendu.

– Paysage académique porté, entre autres, par Lagorio dont l’image qu’il nous apporte d’une gorge dans le Caucase, témoigne de son intérêt pour le paysage d’une autre Russie, celle des montagnes et des vieux croyants.

La visite de cette originale exposition que le Musée des Beaux-Arts de Lausanne ouvre à travers les œuvres prêtées par la galerie Tretiakov de Moscou, témoigne d’un mouvement qui réunit art et politique. Traducteurs de l’âme russe, les peintres nous disent la diversité du vaste empire: forêts, montagnes, mers et coutumes paysannes. Leurs œuvres nous parlent d’un pays qu’ils aiment. Et qu’ils nous invitent à aimer.

Revoir Renoir

La femme bien sûr, mais aussi les enfants, le vent, les paysages, Renoir est un formidable traducteur de la réalité qu’il saisit autant avec son œil qu’avec ses pinceaux. Véritable locomotive du mouvement impressionniste, portraitiste, peintre de la nature, de la mer, des fleurs et de la femme, voilà un artiste exceptionnel que la Fondation Gianadda nous propose de rencontrer à travers une centaines d’œuvres dont plus de la moitié vient de collections privées, inaccessibles au public, à la notable exception de cet événement magnifique intitulé «Revoir Renoir».

Rodin est formel: Van Gogh et Renoir sont les deux plus grands peintres de leur temps. Le propos remonte à 1898. Il est conforté par l’analyse d’un critique d’art, Elie Faure, qui écrit en 1925: «Renoir est français par la spontanéité dans l’élan, l’intuition artiste, la grâce désinvolte sans apprêt ni calcul.»

Le mérite de la Fondation Gianadda aura été de favoriser notre rencontre avec cet artiste complet, sans cesse réinventant les formes les couleurs, les postures qui nous disent comment vivaient ses contemporains. L’un des premiers témoignages qui marquera son entrée dans le monde des artistes nous parle des «moissonneurs» saisis en 1873 – Renoir a 32 ans – sur la plaine de Barbizon. Dans la foulée – 1875 – voilà la rencontre de jeunes gens sous la tonnelle du Moulin de la Galette, avec cette jeune fille en avant-plan vêtue d’une robe blanche à large rayures bleues. La diversité qui est la marque de Renoir, fidèle témoin, avec son œil et ses pinceaux d’une société qui change est bien traduite par deux paires de toiles qui synthétisent l’Exposition de Martigny.

– Aux deux fillettes, Alice et Elisabeth Cahen d’Anvers, fixées en 1881 debout pour la postérité dans leur robe de dentelle, répondent les enfants de Martial Caillebotte assis sans manière dans des vêtements de tous les jours.

– Aux deux jeunes femmes au chapeau noir, l’une dans un léger profil s’oppose à l’autre de face sans sourire.

Mille images de fleurs, de nature, de mer, de paysages, témoignent pour le talent et le travail d’un peintre qui nous fait entrer dans la connaissance des femmes, de toutes les femmes, qu’elles soient marchande de fruits ou modèle à sa toilette. Toutes, y compris cette jolie cohorte de grandes baigneuses qu’il prépare avec un soin extrême, multipliant les esquisses entre 1884 et 1887, jusqu’à ce qu’elles occupent l’espace d’un tableau de belle taille présenté avec succès au Salon de 1887.

Renoir est plus qu’un grand peintre reconnu de son vivant. Il témoigne pour son époque à travers le regard de ses contemporains. Tous nous disent avec les yeux qu’ils appartiennent à leur époque, à leur métier, à leur temps. Tous et y compris celui qui figure sur la dernière toile, Renoir dans son autoportrait au chapeau blanc, pris de profil et dont l’œil brille par-delà les siècles.

Article publié en collaboration avec “L’Essor” .

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