Amendes d’ordre dans le désordre


 Ca y est. Le Conseil fédéral a défini les contours de la révolution des amendes d’ordre.

PAR PIERRE KOLB

Il n’y a rien d’exagéré à parler de révolution. L’autorité fédérale, dans un rapport explicatif joint à l’avant-projet de 2013, avait admis que ce projet «élargit considérablement le champs d’application» de la loi actuelle puisque celle-ci se limite aux infractions de la circulation routière, et qu’une quantité d’autres «infractions mineures» pourront passer sous ce régime, selon une liste qui relèvera de onze autres lois, et pas secondaires: lois sur les étrangers, sur les armes, sur la protection de l’environnement…

L’idée: alléger le travail de la justice. Entre autres exemples fournis dans le message fédéral publié cette semaine, les cas de falsification de la vignette autoroutière qui encombrent le Ministère public à raison de 800 procédures par an, cas en général indiscutables qui pourraient, s’ils ne sont pas contestés par l’auteur de la fausse vignette, être liquidés par une simple amende. Dire simple amende n’exclut pas qu’elle ne puisse être salée, puisque le plafond des amendes d’ordre est fixé à 300 francs.

La question du champ d’application des amendes d’ordre reste ouverte, et promise à rester longtemps sensible. La consultation a montré beaucoup de divergences, entre ceux qui souhaiteraient s’en tenir à une liste de lois moindre, et ceux qui en voudraient plus. La balance a en définitive, sans trop de surprise, penché du côté de ces derniers: la liste a été étoffée, encore que sans y avoir intégré toutes les propositions. Ce qui augure, après l’adoption du nouveau régime, d’une situation… évolutive.

Néanmoins un domaine a été exclu, celui des transports publics. Ouf! Il faut faire l’expérience du comportement d’une partie du personnel des entreprises de transport, apte à voir un tricheur en quiconque a fait une erreur lors de l’acquisition de son billet, sourde à des réclamations parfaitement légitimes, pour se dire qu’une extension du régime des amendes d’ordre à ce domaine garantissait un massacre.

Les domaines retenus constituent déjà un important assemblage, hétéroclite au demeurant. La liste des infractions sanctionnées par une amende d’ordre ne sera certes fixée qu’ultérieurement par le Conseil fédéral, mais les journalistes ont disposé d’un inventaire illustratif à la Prévert. Le mégot jeté par terre a, dans ce tas de vilaines actions présumées, déjà mérité un franc succès médiatique. Mis en exergue pour amuser le public, ou parce que trop représentatif de l’époque? Il faut souligner, tout de même: une prune pour avoir écrasé sa cigarette sur le macadam! On en est là.

Observons que le Conseil fédéral ne crée pas, à cette occasion, d’infraction nouvelle. Donc le truc du mégot doit venir de quelque part de l’arsenal législatif, mais il faut être un pandore assez “space” pour acter en pareil cas. En revanche si d’aventure, et c’est bien là que nous mène l’aventure courtelinesque des amendes d’ordre, la compétence de flanquer une amende est élargie à toutes sortes d’exécutants censés mieux appropriés, la prune du mégot pourrait devenir le symbole d’une inflation de sanctions qui ne serait réjouissante que pour les caisses des collectivités. On ne fait pas que simplifier le travail de la justice, on franchit un seuil.

Parce que le dispositif peut donner lieu à bien des dérapages. Sous le motif des délégations de compétences une dérive se fait jour, que l’on constate déjà dans des dommaines cantonaux comme celui des déchets. L’actualité vaudoise en apporte la preuve, ce canton où va se créer ex-nihilo une police des déchets. La vraie police vaudoise ne voit d’ailleurs pas d’un bon oeil cette délégation de compétences de police à de simples employés communaux.

Dans son projet, le Conseil fédéral confie aux cantons la détermination des compétences en la matière, en leur laissant une puissante marge: il sera possible de faire appel à des privés. Bien qu’il reconnaisse que «l’Etat ne peut pas entièrement privatiser le maintien de la sécurité publique», le Conseil fédéral envisage des situations où «le personnel de sécurité privé exerce une simple activité auxiliaire». Bienvenue aux contractuels du mégot.

… Et autres agents. L’élargissement des amendes s’étend bien sûr à la loi sur l’asile, où l’on fait état du refus de renseigner. Pas difficile d’imaginer le moyen de pression et de déstabilisation que peut représenter, pour un agent administratif muni de la compétence d’amende d’ordre, la simple évocation de ladite amende auprès d’un requérant, qui pourrait pourtant avoir de bonnes raisons de ne pas renseigner.

Soit dit en passant, la Loi n’omet pas de spécifier que l’on ne tiendra pas compte des antécédents et de la situation personnelle des prévenus. Le tarif, c’est le tarif.

Sur le plan du respect des personnes, il y aurait moins de raison de s’inquiéter que l’on verbalise sur la pêche de poissons trop petits, mais il vaut la peine de signaler cet autre exemple des «comportements illicites» sujets à amendes d’ordres, pour comprendre qu’on nous prépare un musée des curiosités. On est parti du louable souci de permettre à la justice d’être plus efficace en l’allégeant du traitement de cas mineurs. L’efficacité, vocable slogan très tendance, pourrait bien nous mener au pire. Ce sera aussi l’efficacité de la pêche aux infractions. Sous ce couvert risque de se développer le chancre d’une bureaucratie parajudiciaire et parapolicière, une prolifération des organismes disciplinaires.

Courant d’Idées

Tags:

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.