Les écuries d’Augias


Qui, après Hervé Falciani? La question, amusante en soi, a de quoi rendre nerveux et angoissés une foultitude de pros de la finance ayant pignon sur rue suisse.

PAR PIERRE KOLB

Encore que la Confédération reste un ordre juridique dont l’agencement général, jusqu’à plus ample informé, reste construit en vue de laisser de bonnes échappatoires à ce petit monde dont les activités crapuleuses bénéficient d’une indulgence plénière. La création de l’organe de surveillance Finma était censée pallier l’incurie révélée sous le régime de la Commission fédérale des banques, mais le scandale UBS de 2008 a dissipé les illusions d’alors. Cette pénible démonstration a incité à un renforcement de ladite Finma, au niveau surtout des effectifs. Bravo pour l’emploi! Quant à l’efficacité du bidule, vantée par la propagande officielle, elle vient de connaître une antidémonstration au vu de sa passivité absolue face aux révélations sur les comportements de la banque HSBC.

Le motif invoqué est intéressant. La Finma n’aurait pas le droit d’intervenir sur la base de données volées. A noter que, primo, les autorités françaises au départ freinées dans la même affaire par un semblable motif, ont rapidement trouvé une astuce qui leur permette de contourner l’obstacle. Quand on veut, on peut, mais voilà, la Finma ne peut pas.

Secundo, cet organisme regonflé en personnel et en moyens ne semble même pas voir qu’il peut y avoir une question de proportionnalité.

Il vaut la peine d’évoquer une affaire toute différente qui avait frappé les esprits dans les années 80. Un notable vaudois avait été condamné par la justice sur foi d’un enregistrement d’une conversation téléphonique au cours de laquelle il entendait commanditer l’assassinat de sa femme. L’interlocuteur avait pris la précaution, si l’on peut dire, d’enregistrer cette demande, qui fut versée au dossier de l’instruction. Preuve accablante, mais que la défense a contestée en en soulignant le caractère illégal. On sait qu’il est interdit d’enregistrer une conversation téléphonique à l’insu de son interlocuteur. Or, la justice a tout de même reconnu cette preuve au motif que “le moyen utilisé restait dans les limites du tolérable qu’impose la lutte contre le crime”.

Les révélations sur les anciennes pratiques d’HSBC, vu leur énormité – systématique de l’encouragement à la fraude fiscale et couverture de blanchiment d’argent – justifieraient que le moyen utilisé en vue de leur obtention soit considéré, au niveau de leur recevabilité, “dans les limites du tolérable”. On ne peut s’empêcher de penser que l’argument des données volées est une sorte d’oreiller de paresse de la Finma, qui la discrédite et la ramène au niveau de cet ordre juridique fondé sur l’indulence plénière en faveur des crapuleries financières.

Car la question «Qui après Falciani?» exprime cette supposition logique d’une collection de cas similaires en passe d’apparaître au grand jour, et de l’incapacité génétique de la FINMA à nettoyer les écuries d’Augias.

Jusqu’à plus ample informé, faut-il tout de même observer, après l’opération menée récemment par les procureurs genevois Olivier Jornot et Yves Bertossa dans les bureaux de HSBC. Bienheureux fédéralisme, lorsque des personnalités cantonales comprennent qu’elles n’ont pas à en référer à la magistrature fédérale pour lire les lois. Cette exception dans l’inertie globale ouvre une lueur d’espoir.

La situation n’en est pas moins d’autant plus ahurissante qu’à l’inverse, dès les prémisses de l’affaire, la Suisse a fait preuve, à l’encontre d’Hervé Falciani, d’un zèle de procureur hyperactif. Cet homme qui aurait été, à lire le «Matin-Dimanche», «un homme à femmes, un filou, un joueur de poker» dont la rocambolesque histoire a semblé à ce média mériter que l’on s’y étale, avant d’admettre «qu’il n’a pas si mal joué avec les cartes qu’il avait en mains. Et le destin lui a attribué un rôle qui convient finalement assez bien à l’idée qu’il doit se faire de lui-même: aux yeux de la majorité, Hervé Falciani est un héros».

Mais pas aux yeux de la justice suisse, selon ce que l’on prévoit du Tribunal fédéral pénal devant lequel il ne se présentera peut-être pas. De fait, son cas repose la question des lanceurs d’alerte qu’une femme bien placée pour en parler, l’ancienne cadre de Nestlé Yasmine Motarjemi, a analysée dans «le Temps», en concluant: «Ce que ce scandale révèle est une déficience intrinsèque du mode réglementaire, du système d’alerte, et de la justice sociale. Cela non seulement en Suisse mais dans le monde, car les entreprises multinationales jouent sur les lois des différents pays pour bénéficier du meilleur des deux mondes».

«Ce qu’il nous faut urgemment, c’est un consensus international sur le whistleblowing et des lois nationales efficaces qui protègent réellement les personnes concernées.»

Courant d’Idées

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3 commmentaires à “Les écuries d’Augias”

  1. Schindler 28 février 2015 at 12:21 #

    Tout à fait d’accord. Mais le problème n’est pas l’impuissance de la FINMA, c’est l’aveuglement du monde politique, incapable de modifier la loi et de contraindre les banquiers à ouvrir leurs comptes.

  2. Christiane Betschen 28 février 2015 at 20:56 #

    A propos des lanceurs d’alerte, il faut lire le journal “l’essor” ( http://www.journal-lessor.ch) qui consacre son numéro de février 2015 à ce thème une lettre inédite de Yasmine Motarjemi intitulée “Mon devoir envers la société et l’humanité”, une authentique profession de foi.
    Ch. Betschen

  3. Christiane Betschen 1 mars 2015 at 15:44 #

    Dans le cadre du Festival du film et forum international sur les droits humains, qui se tient à Genève, le journal LE COURRIER du vendredi 27 février annonce la projection du film “Tigers”. Le scénario relate l’histoire vécue par un directeur de ventes de Nestlé au Pakistan qui découvre que le lait Nestlé dont il encourage l’utilisation est cause de mort chez les bébés. Menacé de mort, il doit s’exiler au Canada. Un bras de fer entre Nestlé et le réalisateur du film a empêché la sortie de ce dernier jusqu’à ce que le nom de Nestlé n’apparaisse plus dans le film. Une seconde projection est prévue le 6 mars à 18 h.45 au Grütli (Genève).
    Ch. Betschen

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