Les intégristes de la laïcité et le dogmatisme français


Vous ne verrez pas, dans le métro parisien, l’affiche du groupe de chanteurs «Les Prêtres».

PAR MARC SCHINDLER, Alès

Pourquoi? Parce que les bons pères avaient décidé de verser la recette de leurs concerts aux chrétiens d’Orient, massacrés par les djihadistes. Et alors? Eh bien, la RATP a jugé que c’était contraire au “principe de neutralité du service public” dans «le contexte d’un conflit armé à l’étranger». La France entière s’indigne, du premier ministre au Front de Gauche. L’hebdomadaire “Le Point” titre :«Odieuses Pâques à la RATP». La RATP rétro-pédale: «ce dossier montre les difficultés croissantes d’appliquer les règles de neutralité et de laïcité au sein des espaces publicitaires de la RATP.»

Le principe de laïcité, c’est un des piliers de la République française, qui devrait s’afficher au fronton des mairies de France avec la fière devise de la République française, Liberté, Egalité, Fraternité. Depuis la loi de 1905, «la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte… la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public». Mais la laïcité est à géométrie variable: l’Etat subventionne quand même la construction d’églises et même de mosquées. La loi interdit de porter des signes religieux dans les espaces publics, notamment au lycée, mais pas à l’université, à cause des étudiants étrangers! La France s’est dotée d’une loi punissant d’une amende les femmes qui portent une burqua. Elles ne sont pas plus de 2000 en France. Mais dans l’Education nationale, la ministre a laissé les enseignants décider «si des mères voilées doivent être exclues des sorties scolaires en cas de prosélytisme, mais il faut se garder d’interdiction de principe». Débrouillez vous avec cette patate chaude!

Tout le monde le sait bien: la laïcité, c’est un moyen de stigmatiser les musulmans, elle devient un outil d’exclusion. Marine Le Pen se fait la championne de la laïcité. Elle surfe sur l’anti-islamisme et le racisme latent des Français. Selon Mediapart, «elle articule la défense de la laïcité à la lutte contre le multiculturalisme, la diversité, nouveau nom de la préférence immigrée», et «le fondamentalisme islamique» qui serait aujourd’hui parmi les «communautarismes les plus puissants, encouragés par les élites». Electoralement, ça paie.

Comme l’écrit le journaliste Henri Tincq: «La France est malade de sa laïcité. L’autre jour, c’est un élu socialiste qui décrochait un crucifix au conseil général du Haut-Rhin. Peu après, dans un bureau de vote de Toulouse, un rabbin était sommé de retirer sa kippa au moment d’accomplir son devoir électoral…Dans aucun autre pays voisin de la France, on ne se pince ainsi le nez à l’évocation d’une confession religieuse. L’histoire de la France est traversée par des haines recuites entre cléricaux et libre-penseurs, par des flots de littérature et des combats religieux dont la vigueur polémique ressurgit parfois aujourd’hui. S’il y a une fracture spécifique à la France, c’est bien celle qui distingue le camp de la Révolution – identifié aux droits de l’homme, au progrès, à la laïcité – et le camp de la Restauration, du cléricalisme, de la résistance aux libertés et à la modernité.»

Pour un Suisse, dont la Constitution commence par l’invocation: «au nom de Dieu tout-puissant», la laïcité à la française est incompréhensible. Bien sûr, la Confédération n’a pas la même histoire que la France. Elle n’a pas connu des guerres de religion fratricides violentes. En 1847, la guerre du Sonderbund entre cantons catholiques conservateurs et cantons protestants a duré trois semaines. Rien à voir avec les huit guerres civiles entre catholiques et protestants au XVIe siècle, qui ont fait des milliers de morts. La Suisse n’a pas vécu l’immigration massive maghrébine, ni les banlieues gangrenées par la drogue et l’islamisme militant. Les débats sur la fin de vie, l’avortement ou le mariage gay n’y ont pas la même violence. La Suisse est un pays multi-confessionnel, où catholiques, protestants, musulmans et juifs vivent en paix.

Pourtant, même à Genève, la ville dont Calvin avait fait la Rome protestante, la laïcité fait débat. Aujourd’hui, il y a 400 communautés religieuses et les catholiques sont trois fois plus nombreux que les protestants. Le gouvernement local a créé une commission pour étudier la laïcité que définit la Constitution: «L’Etat est laïc. Il observe une neutralité religieuse. Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle. Les autorités entretiennent des relations avec les communautés religieuses». En conclusion, cette commission souligne que «la laïcité est un état d’esprit qui doit imprégner, non seulement les textes légaux, mais aussi les personnes chargées de les appliquer. Elle est aussi l’expression d’une morale sociale qui devrait servir de guide à l’ensemble des citoyens qu’ils soient croyants ou incroyants». La laïcité: état d’esprit, expression d’une morale sociale, on est loin du dogmatisme français et de la furie des intégristes qui veut imposer sa loi aux Français.

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