Lettre à un ami après le “non” grec – L’arnaque européenne


Or donc, la Grèce vient d’asséner une nouvelle gifle à l’UE, aux caciques de la finance.

PAR PIERRE ROTTET

A la chancelière allemande. La seconde déroute pour l’Union européenne, après la victoire, dans les urnes, de Tsipras et de son équipe en janvier 2015, confirmée donc par un remake le 5 juillet. Tout cela après les bouleversements enregistrés en Espagne avec le mouvement des indignés. Le chant du cygne?

Tout cela, parce que les arrogances conjuguées aux incompétences des caciques de l’UE, des leaders des partis traditionnels de nombre de pays européens, des marchés et du monde de la finance, du haut de leurs certitudes, n’ont rien vu venir, n’ont pas su anticiper. Ils ont forgé les armes des contestataires en affûtant leurs arguments, ont préparé les nids de la colère, du mécontentement et de la révolte. Qui ira s’amplifiant, à n’en pas douter. La Grèce d’abord. L’Espagne de Podemos, celles des indignés, donc… Et demain…?

Demain n’a du reste pas tardé à venir, avec la candidate du mouvement des indignés Manuela Carmena, investie maire de Madrid samedi 13 mai 2015. L’indignée Manuela avait été soutenue par le mouvement «Podemos». Un cas unique en Europe, que cette liste “Ahora Madrid”, concernant une capitale, estimait au lendemain de cette confirmation d’investiture le politologue Fernando Mendez.

La composition de la liste comme son programme furent élaborés au sein d’assemblées citoyennes. Quant aux futurs conseillers municipaux, ils sont issus d’associations de quartiers, de collectifs, des partis Podemos (gauche radicale), Equo (gauche écologiste) et d’Izquierda Unida (ecolo-communiste).

Ce qui est certain c’est que le printemps espagnol brasse les cartes d’un nouveau jeu politique, avec les arrivées aux mairies de candidats soutenus par «Podemos» dans quatre des cinq principales villes d’Espagne, y compris Barcelone, la capitale catalane, qui a désormais à sa tête Ada Colau, activiste barcelonaise, qui s’est entre autres fait connaître pour sa lutte contre les expulsions immobilières. Avec la force et la conviction que lui confèrent sa détermination, Ada Colau, la jeune rebelle a relégué le débat sur l’indépendance de la Catalogne au second plan, certes, mais elle défend néanmoins le «droit à décider». Elle affirmait dans un entretien à «El Pais» qu’elle n’acceptera pas qu’on l’empêche de faire une consultation sur cette question: «S’il faut désobéir à des lois injustes, nous désobéirons», martèle la jeune femme, en guise de réponse à l’opposition et au PP qui utilisèrent la peur pour tenter de contenir la vague «Podemos».

Cette révolte, cette lame de fond citoyenne, ce pas politique a de quoi inspirer les mouvements citoyens en Europe. De quoi donner en revanche des sueurs froides à Bruxelles, à moins qu’elle n’invite l’UE à une sérieuse remise en question compte. Et mettre sous le boisseau son arrogance. On en est loin. Surtout si l’on pense à sa façon de gérer la crise grecque

De hauts dirigeants européens n’expliquaient-ils pas au printemps 2015 au «Financial Times» qu’aucun accord ne serait possible avec Alexis Tsipras? A moins que ce dernier ne «se débarrasse de l’aile gauche de son gouvernement». Il ne fait aucun doute que l’UE, Merkel en tête, les milieux de la finance, ont eu pour but de discréditer le projet politique identifié comme «radical» du nouveau gouvernement, en exigeant de lui des mesures contre lesquelles il a basé sa campagne électorale. En d’autres termes, ou Tsipras obéissait à son programme de campagne et s’exposait à des représailles financières avec comme conséquence un financièrement étranglé, ou il cédait aux loups de Bruxelles et au FMI en perdant sa majorité parlementaire, en faisant imploser son parti.

Qui a parlé de chantage? L’Europe prêche la solidarité? Une solidarité qu’elle consent à accorder aux conservateurs, aux droites. Et aux banques! Les lendemains pourraient cependant bien déchanter pour Bruxelles. Et très vite. Les indignés d’Espagne et bientôt d’ailleurs se chargeront de le démontrer. La réalité est que l’UE est au service d’une motivation politique, celle qui consiste à envoyer le message à la Grèce et aux peuples européens qu’un mandat populaire ne peut pas changer les choses. Ce en quoi Bruxelles pourrait se mettre le doigt dans l’oeil. Histoire de prouver que les poids lourds de l’UE dansent sur ce que le FMI et Washington chantent, surtout après l’annonce d’un référendum en Grèce par le gouvernement d’Alexis Tsipras, exaspéré à la fois par l’intransigeance de Bruxelles et du FMI, et par la volonté de l’UE d’imposer à la Grèce une austérité rejetée par les urnes le 25 janvier. L’insistance des créanciers à exiger de la Grèce qu’elle baisse à nouveau les retraites a fini par retourner même une partie de l’opinion qui n’avait pas voté pour Tsipras, écrit à ce sujet Maria Malagardis, dans un papier un peu plus critique que d’autres à l’égard de Bruxelles, publié le 27 juin par «Libération».

«The game is over» («le jeu est fini») avait déclaré Donald Tusk, président du Conseil européen, après l’annonce du référendum et donc le refus du coup d’Etat économique des instances financières, à savoir un versement contre une humiliation supplémentaire, une augmentation de la TVA et de nouvelles ponctions sur les salaires et les rentes des retraités déjà étranglés. Cela à cause des crades incompétences des gouvernements précédents, laxistes et corrompus.

«Ce n’est pas un jeu pour un pays qui compte 1,5 million de chômeurs et plus de trois millions de pauvres», a précipitamment rétorqué Tsípras à Tusk, un président du Conseil européen encore sous le coup de la rage après l’accord arraché par Tsipras une semaine avant l’annonce du référendum pour la construction d’un gazoduc russe de deux milliards d’euros en Grèce. Un accord vu d’un mauvais oeil par Bruxelles. Surtout, un revers pour l’UE, dans sa volonté d’isoler la Russie du reste de l’Europe.

Symptomatique est du reste la déclaration du ministre finlandais Alexander Stubb, selon qui l’annonce d’un référendum en Grèce est une très désagréable surprise. «C’est un jour triste en particulier pour le peuple grec», avait-t-il lancé. En cachant mal sa colère et surtout les implications négatives de cet échec pour l’UE. Un de plus, après entre autres le dossier Ukrainien. Et les sanctions économiques renouvelées en juin 2015 pour six mois contre Moscou. Selon une étude de l’institut autrichien de recherches économiques Wifo, plus de 2 millions d’emplois et environ 100 milliards d’euros de richesses produites sont menacés avec le renouvellement de ces sanctions. Une balle dans le pied, un luxe inapproprié en cette période qui voit se creuser le chômage et les inégalités… L’UE et les mauvais chantres allemands, anglais et français dansent au rythme que dicte les Etats-Unis et la grosse finance, qui tirent allègrement les marrons du feu d’une politique européenne qui va sérieusement à l’encontre de ses propres intérêts. Avec l’Ukraine et maintenant la Grèce, l’UE, une fois de plus, n’a rien vu venir. Et encore moins avec l’annonce du référendum d’Athènes. «Dans le pays où est née la démocratie, nous ne demanderons pas l’autorisation à M. Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe ni à M. Schaüble» (ministre des finances allemand) de tenir un référendum, a souligné le premier ministre. «Ni les menaces, ni le chantage, ni les tentatives d’instaurer la panique ne changeront la volonté du peuple grec de vivre dans la dignité», a-t-il insisté. La tronche des ministres de la zone euro en disait long sur leurs inquiétudes.

Certes, dira-t-on, il existe des règles, que l’UE et la plupart des ministres des finances de l’Europe ont avancées pour justifier l’emprise exercée sur la Grèce, la remettre à l’ordre, pour justifier aussi l’ingérence honteuse du président de la Commission européenne Jean-Claude Junker en faveur du «oui», qui, s’en souvient-on seulement, était largement impliqué au Luxembourg dans l’affaire «LuxLeaks», le scandale financier qui révélait le contenu de centaines d’accords fiscaux très avantageux conclus avec le fisc luxembourgeois. Y compris des armateurs grecs? Mais que serait le droit des peuples à les remettre en question, ces règles, dès lors qu’elles desservent leurs droit à vivre dignement, et qui ont démontré depuis ces dix dernières années les échecs auxquels elles menaient?

Invité de France Inter quelques jours avant le référendum, Thomas Piketty économiste revenait notamment sur la victoire et ses conséquences du parti de gauche radicale Syriza aux élections législatives grecques: «Je pensais déjà en 2012, lors des précédentes élections grecques, qu’il aurait fallu un choc de ce type. La cure d’austérité imposée à la Grèce et à la zone euro dans son ensemble est une catastrophe. Sauf pour l’industrie d’exportation de l’Allemagne et de ses banques: le chômage a explosé dans la zone euro, alors qu’il a diminué à l’extérieur, aux Etats-Unis par exemple». Pour lui, l’UE a fait les mauvais choix en prônant dès 2010 une politique d’austérité tous azimuts et à tous prix. Que la Grèce a payé au prix fort!

Reste, disait encore l’économiste français, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), «il faut se saisir de l’opportunité d’une remise en question de ladite austérité, visible particulièrement dans les pays du sud de l’Europe, dans le sens d’un changement plus global». D’autres économistes et prix Nobel en la matière coïncident: Il faut donner du mou sur la dette, enterrer l’austérité… Des arguments que Bruxelles et la Merkel continuent à ignorer. Et qui pourraient bien sans trop tarder se retourner contre l’UE, voire la diviser. Les tenants du PP espagnol de Rajoy ne l’ignorent pas. La droite au pouvoir, pour combien de temps encore, craint une contagion pour le pays. Podemos dénonce en effet sans aucune ambiguïté l’austérité imposée en Espagne depuis quatre ou cinq ans.

Les arguments de campagne des milieux financiers de Grèce ou hors de Grèce qui ont précédé le référendum, ne se sont guère différents de ceux utilisés par ces mêmes milieux lors de semblables événements: jouer sur les peurs. Rien de nouveau dans cette forme de terreur exercée, de terrorisme à tout dire dans la mesure ou créer et semer la peur en est un. «Ce que font les créanciers à la Grèce a un nom: terrorisme», accusait du reste Yanis Varoufakis – le sacrifié du référendum – dans un entretien au quotidien espagnol «El Mundo». Un terrorisme relayé à Athènes par certaines télévisions et radios, qui, ajoutait-il, “revendiquent leur subjectivité, invectivent leur Premier ministre et font planer la menace d’une apocalypse” si le pays votait «non» au référendum.

Et pendant ce temps là, les armateurs grecs sont bien à l’abri à Londres, notamment, avec leurs fortunes. Ces mêmes armateurs que soutiennent ce faisant les médias de l’opposition acquis au «oui», et qui se sont accommodés de la situation depuis le retour à la démocratie dès la fin de la dictature, avec des partis de droite et d’une gauche caviardée qui se refilaient le pouvoir. Les vrais responsables de la faillite grecque.

Ce qui est certain, en attendant, est que les 200 plus grands fortunes mondiales ont laissé des plumes dans le feuilleton UE vs Grèce: depuis le 24 juin 2015, date de l’attaque frontale de Tsipras contre le FMI, elles ont perdu quelque 88 milliards de dollars, à en croire l’index «Bloomberg sur les milliardaires», dont 52,3 milliards pour la seule journée du 29 juin 2015… A peine un peu plus que ce dont la Grèce aurait besoin, selon Christine Largarde, patronne très contestable et contestée du FMI. Bref, tous les coups sont bon pour la finance, pour les crapules. Y compris pour le “Financial Times” britannique qui affirmait à la veille du référendum que les épargnants grecs pourraient se voir prélever 30% de leurs dépôts pour renflouer les banques du pays. Quand je te dis qu’on joue sur les peurs, une autre forme de violence. Une violence! Aussi pernicieuse que les autres. Tu l’as compris, si j’avais été grec, c’est un «non» convaincu que j’aurais glissé dans l’urne dans cet exercice démocratique que l’UE à eu bien mauvaise grâce de dénigrer.

Reste que les allégations du «Financial Times» n’ont pas suffi pour terroriser le peuple grec. Preuve en est la victoire écrasante du «non», qui apporte une large légitimité au référendum voulu par Tsípras et son équipe. Un sacré coup de semonce pour Bruxelles. Notamment! Le pire scénario pour l’UE, les créanciers de la Grèce ainsi que pour Merkel, laquelle, incontestablement, perd une sacré bataille, elle qui avait pesé de tout son poids, avec son ministre des finances. Une défaite au goût de désaveux également pour les Juncker, Dijsselbloem, Tusk et consorts. Si l’on ajoute la possibilité d’une possible sortie de la Grande-Bretagne, l’invasion de la Crimée par la Russie, il ne reste plus grand-chose des piliers sur lesquels reposait jusqu’ici la politique européenne de la chancelière allemande. Après la crise économique, l’Europe est aujourd’hui confrontée à la crise politique. Compte tenu aussi de l’effet «contagion» que le «non» du peuple hellénique pourrait entraîner.

Tu l’as compris, il y a des scrutins qui me remplissent de bonheur. Cela compense parfois les désillusions. Ce qui compte est ce qu’il y a au bout des victoires. Un peu d’espoir de voir changer les choses, d’une remise en cause de l’UE et du FMI dans ses fonctionnements. L’art de la politique, comprise comme une démocratie, est bien de tenter de faire changer les choses. Tsipras l’a démontré. Et d’autres avec lui. Ne serait-ce que «podemos», issus du mouvement espagnol des indignés.

Ce texte est extrait du livre de Pierre Rottet à paraître en septembre 2015, sous le titre: “Lettres à un ami – Chroniques aigres-douces – Pour dire aux cons qu’ils sont des cons et à ceux que j’aime que je les aime”.

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