Or nazi, quand la BRI vendait son âme


Un roman qui vient d’être publié jette une lumière un peu crue sur les conditions de vie des soldats internés en Suisse durant la seconde guerre mondiale.

PAR PIERRE NOVELLO

Avec pour arrière-plan la description de certains acteurs d’une institution extrêmement mal connue et dont le comportement a suscité de vives controverses. Il s’agit de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), qui avait déplacé son siège de Bâle à Château d’Oex pour se mettre à l’abri d’une éventuelle attaque provenant d’Outre Rhin. Ce roman, c’est «Montbovon» écrit par le journaliste d’investigation Christian Campiche.

Pour dérouler son récit, l’auteur s’attache au destin d’un soldat polonais interné en Suisse à Montbovon, justement, village qui se trouve dans la Gruyère fribourgeoise. Même s’il s’agit d’une histoire d’amour, l’auteur inscrit ses personnages dans la grande Histoire, non seulement de la deuxième guerre mondiale, mais également de celle de la BRI pour en camper quelques-uns de ses figures les plus hautes en couleur. Christian Campiche met ainsi son talent de conteur pour mettre en scène des rencontres entre les gouverneurs de banques centrales, comme le Britannique Montagu Norman, l’Allemand Emil Puhl, l’Italien Azzolini ou le Suisse Weber.

Mais au-delà de la qualité littéraire du récit, l’intérêt de l’évocation de ces événements historiques ne tient pas dans leur exactitude – dont ne se prévaut d’ailleurs pas l’auteur –, mais du projecteur qu’il braque sur des moments sinon oubliés, voire occultés de notre passé. Par exemple certains mauvais traitements infligés aux soldats internés, et des comportements sadiques dont ils ont parfois été les victimes, ou cette étrange institution qu’est la BRI, qui continue de fonctionner comme si de rien n’était.

Pour un blog dédié à l’économie (ndlr: “L’Hebdo“), c’est évidemment sur la BRI que je mettrai l’accent. Car, comme la plupart des journalistes spécialisés, j’avais vaguement entendu parler du rôle de cet établissement au cours de la deuxième guerre mondiale. Mais j’avais surtout en tête l’activité de la Banque Nationale Suisse qui avait fourni à l’Allemagne nazie les francs suisses dont elle avait besoin contre de l’or pour acheter certaines matières et produits stratégiques pour continuer la guerre. Or dont l’origine était plus que douteuse, entre celui qui provenait du pillage des banques centrales des pays occupés et des victimes de l’holocauste. Mais ces faits sont bien connus. En revanche, le comportement de la BRI durant cette période est resté quelque peu dans l’ombre. Encore aujourd’hui, si vous allez sur le site de cette institution, vous ne trouverez qu’une vague mention de cet épisode dans son résumé historique, indiquant qu’elle a fait l’objet de controverses au sortir de la guerre, sans détailler le propos.

On en sait heureusement beaucoup plus depuis quelques années. Et ce qui ressort des recherches des historiens est à proprement parler incroyable, comme on le peut le lire sous la plume de Marc-André Charguéraud dans un petit ouvrage très documenté paru il y a une dizaine d’années: «Le banquier américain de Hitler». Ce mystérieux banquier s’appelait Thomas Harrington McKittrick et fut le président de la BRI de janvier 1940 jusqu’à la fin de la guerre. Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire d’en dire un peu plus sur cet établissement, qui n’est en général connu que des seuls spécialistes.

On dit souvent d’elle qu’elle est la banque centrale des banques centrales. Cette institution a été créée en 1930 par les banques centrales d’Allemagne, de Belgique, de France, de Grande-Bretagne, d’Italie et du Japon et par un groupe bancaire américain. Le but de la BRI était de gérer la question des réparations imposées à l’Allemagne à la suite du traité de Versailles. Très rapidement, dès 1932, cette exigence est abandonnée. La BRI aurait logiquement dû cesser ses activités puisqu’elle n’avait plus de raison d’être. Mais, comme l’écrit Marc-André Charguéraud, la BRI survit parce qu’«on ne va pas tout de même mettre fin à ce ‘club’ très fermé et si sympathique des grands argentiers européens parce que l’Allemagne ne peut plus payer ses dettes.» Finalement, la BRI va être transformée en chambre de compensation pour des transactions d’or sur le plan international, pour éviter le transport physique du métal précieux.

Paradoxalement, la BRI, créée pour gérer l’affaire des réparations dues par le vaincu, va tomber sous la domination des Allemands. Ainsi, en mai 1939, après l’invasion de la Tchécoslovaquie, Berlin réussit à récupérer 23 tonnes d’or que sa banque nationale avait mis à l’abri à la Banque d’Angleterre, grâce à la BRI qui exécuta l’ordre de transfert de Londres à Berlin! À la grande colère de Winston Churchill qui révéla le scandale devant le parlement britannique, suscitant une vive réaction de la part de l’ensemble des députés.

C’est dans cette institution qu’entre Thomas McKittrick, un banquier international américain, pour en prendre la présidence. Ainsi que l’explique avec force détails Marc-André Charguéraud, et comme le suggère Campiche de manière romanesque et dramatique dans son roman, la BRI se met véritablement au service de l’Allemagne nazie, en acceptant d’acheter de l’or à l’origine trouble contre des francs suisses. Parmi les différentes opérations de blanchiment, l’auteur décrit celle qui permet à l’Allemagne de régler des exportations de tungstène portugais vers les usines d’armement du Reich.

La compromission de McKittrick avec un régime non seulement criminel mais ennemi de son propre pays aurait dû le conduire à rendre des comptes après la guerre. D’autant plus qu’il a protégé plusieurs des responsables nazis de la banque à la fin du conflit. Si la BRI a bien été mise en examen et à dû rendre l’or qu’elle avait reçu pendant la guerre, Mc Kittrick ne fut jamais inquiété et poursuivit sa carrière de banquier à la Chase Bank.

Montbovon, par Christian Campiche, Editions de l’Aire, 2015. L’auteur présentera son roman à la Galerie Contraste à Fribourg samedi 12 septembre 2015 à 11h00.
Le banquier américain de Hitler, par Marc-André Charguéraud, Labor & Fides, 2004

Pierre Novello est journaliste économique indépendant.

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