Deuxième tunnel routier sous le Gothard, le tube de trop


A en croire le sondage du 12 janvier sur les intentions de vote du 28 février, le percement d’un deuxième tunnel routier sous le Gothard sera plébiscité par les citoyennes et yens.

PAR PASCAL HOLENWEG

Avec 64 % de soutien au moment du sondage, contre 29 % d’opposition (et 7 % d’indécis), dans un bon gros clivage gauche-droite (le “non” est majoritaire chez les Verts et les socialistes, le “oui” l’est dans les électorats de tous les partis de droite). L’argument qui semble avoir surtout convaincu les partisans du second tunnel est celui de la sécurité, suivi de celui du lien avec le Tessin (où 17 % des sondés disent toutefois s’opposer au projet, contre 76 % qui le soutiennent). Du côté des opposants, dont font partie le PS, les Verts, l’Union Syndicale et la “gauche de la gauche”, c’est le risque, voire la quasi certitude, que, contrairement aux promesses des partisans (et à la constitution), le deuxième tunnel ne soit pas seulement un tunnel d'”assainissement”, mais soit un tube de trop, servant à doubler la capacité d’absorption du trafic automobile (et surtout de celui des poids lourds) par l’ouvrage, quand il conviendrait au contraire de la réduire en favorisant le transport ferroviaire.

On cherche sans la trouver, au moins une bonne raison de voter en faveur du deuxième tube routier sous la Gothard, que nous propose le Conseil fédéral. Indispensable, ce deuxième tube? Il passe en moyenne 17’000 véhicules par jour dans le tunnel existant: c’est dix fois moins que sur l’autoroute Genève-Lausanne… D’ailleurs, en cas de “non” au projet, le tunnel serait fermé pendant trois ans (sauf pendant l’été) pour rénovation – en prédit-on quelque situation catastrophique? Même pas. C’est dire, en admettant que l’on puisse se passer dix mois par an pendant trois an du premier tube, que le second n’a rien d'”incontournable”. Pour ne “pas isoler le Tessin” (ou, dans l’autre sens, Uri) ? Les citoyennes et les citoyens de ces deux cantons les plus immédiatement concernés par l’ouvrage existant – et le projet de le dédoubler -, Uri et le Tessin, ont toujours refusé, chaque fois que l’occasion leur avait été donnée (cinq fois, à Uri…), le doublement du tunnel routier: le projet “Avanti” avait ainsi été repoussé par les trois quarts des Uranais et la majorité des Tessinois en 2004. Et aujourd’hui, c’est par un clair et net “Nous ne voulons pas devenir le couloir de l’Europe” que l’association “Levantina vivibile” appelle à repousser le projet fédéral. Parce qu’il s’agit bien de cela: non de “désenclaver” le Tessin (qui n’est plus qu’à deux heures de train de Lucerne, trois de Fribourg, cinq de Genève), mais de ne pas rendre invivables les régions traversées par un axe routier qui, si son tunnel est dédoublé, fonctionnera comme un aimant à bagnoles… et à camions.

Et puis, il conviendrait dans ce pays de savoir au moins de temps en temps ce que l’on veut – ou plutôt, ce que le gouvernement fédéral veut. Le projet de deuxième tube au Gothard va directement à l’encontre de deux décisions populaires, l’acceptation de l’Initiative des Alpes et celle des nouvelles transversales ferroviaires (NLFA), ce “projet du siècle en matière de transport”, que l’Union Syndicale Suisse, en appelant à voter “non”, appelle à ne pas saboter – un sabotage qui serait celui du transfert sur le rail du transport des marchandises en transit par la Suisse.

Ironiquement, Le Conseil d’Etat genevois, qui ne passe pas pour un adversaire acharné du transport routier, avait pris, lors de la consultation sur le projet de deuxième tube routier, au Gothard une position d’opposition à ce projet. Par opposition au trafic routier? Que non point: par souci d’obtenir pour des projets intéressant plus directement Genève (et la région lémanique) un financement fédéral que l’engloutissement de trois milliards dans le doublement du tunnel entre Uri et le Tessin rendrait infiniment plus aléatoire. Or dans ces projets que caresse notre mirifique gouvernement cantonal, il y en a un, funeste, qui serait franchement irréalisable dans un tel financement: la traversée routière du lac. Si nous avions l’esprit politique quelque peu tordu, et étions animés de quelque perversité, nous nous engagerions avec de lourdes arrière-pensées en faveur de l’engloutissement entre Goeschenen et Airolo de trois milliards dont on ne pourra plus ensuite quémander la moindre miette pour l’engloutir entre le Vengeron et la Pointe-à-la-bise… Mais notre esprit politique étant droit comme un échalas et toute perversité nous étant étrangère, nous nous en abstiendrons. Avec toutefois une nuance de regret.

On est trop bons.

CauseS TouSjours No 1536

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Un commentaire à “Deuxième tunnel routier sous le Gothard, le tube de trop”

  1. Zimmermann Michel 30 janvier 2016 at 23:28 #

    Oui, vous êtes trop bon, mon cher Pascal ! Certes, vous avez raison de rejeter le funeste projet de percement d’un second tunnel routier sous le Gothard, ne serait-ce qu’au vu de la plaine encombrée de Magadino, entre Bellinzona et Locarno, qu’aucun percement ne saurait fluidifier… bien au contraire ! Votre opinion se forge à juste titre sur des critères de proximité, la Confédération et le Canton de Genève, quelques généralités, la protection des Alpes et l’intérêt des poids lourds, et un clivage politique droite/gauche qui se joue sur le tapis d’un poker menteur. Mais songez, cher ami, au poids qu’il convient de donner aux arguments “européens”. La négociation sur la “libre circulation des personnes et des prestations” ne vaut-elle pas que l’on se dote de quelque munition ? Faciliter le transite des marchandises à prix cassé (je pense aux chauffeurs polonais) en déboursant, au bas mot, 3 milliards, ne constitue pas en soi une absurdité diplomatique. En ce sens, pendant que la machine médiatico-subliminale du “consensus gouvernemental” avale ses millions, réjouissons-nous de voir notre gauche institutionnelle proclamer son opposition à ce criminel percement de montagne. Comme quoi on peut rêver d’adhésion et “d’Europe sociale” tout en chahutant les désidératas supposés de la Sainte Commission. Tout n’est pas perdu !
    Amicalement, Micky Zimmermann

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