L’éclatement de la Yougoslavie ou quand les devoirs de mémoire sont sélectifs


Il y a quelque temps, sur la Méduse, Oncle Phil a raconté comment, en Suisse, alors qu’il avait 13 ans, il a vécu les bombardements de l’OTAN sur la Yougoslavie en 1999. 

PAR BERNARD WALTER

Cela a agi sur moi comme une piqûre de rappel et a fait resurgir bien des réflexions qui par la force des choses ne se sont depuis longtemps que peu exprimées. Car la question yougoslave, une fois «réglée», a été largement occultée par les médias et dans l’opinion publique.

Le premier chapitre de ces réflexions concerne l’histoire de la Yougoslavie.

Qui comprend ce qui s’est passé en Yougoslavie depuis 1939-45? La relation entre les différentes parties de cet Etat pluriethnique et pluriconfessionnel est complexe et reste pour l’observateur extérieur très difficile à décrypter. Cette histoire est marquée en particulier par des épisodes sanglants durant la guerre de 39-45.

Ce qu’il faut retenir, c’est que depuis 1945, c’est le maréchal Tito qui prend le pouvoir et va en tenir les rênes durant plus de 30 ans. Son action politique tient à deux aspects principaux. Le premier, c’est la création d’une fédération des différentes nations qui composent le pays, dans le respect de ses diversités, pour autant que cela ne mette pas en péril son unité. Le second, c’est sa politique de non-alignement.

Ce deuxième point a une importance toute particulière et va déterminer grandement l’histoire de la Yougoslavie après la mort de Tito en 1980.

Dès les années 1950, et dans la logique du processus de décolonisation, de nombreux pays du Tiers-Monde initient le non-alignement, un vaste mouvement destiné à équilibrer les rapports de force politiques et économiques dans le monde. L’idée pour cela est de créer un troisième bloc qui fasse pendant à la domination mondiale par les USA et l’URSS, les deux «superpuissances» de cette époque de guerre froide.

Pour résumer fortement les choses, les pays leaders de cette espèce de fronde, lesquels revendiquent fortement le principe de souveraineté nationale et de négociations équitables, sont la Yougoslavie, l’Indonésie, l’Algérie, Cuba et le Ghana en Afrique. (L’Inde, la Chine populaire et l’Egypte ont figuré parmi les initiateurs du mouvement, mais leur taille en a fait des «puissances  régionales» assez fortes pour jongler individuellement entre les USA et l’URSS.)

Les pays assez audacieux pour diriger la contestation de l’ordre mondial établi ont été brutalement châtiés. Les pires exemples de ce retour du bâton, ce sont l’Indonésie, l’Algérie et la Yougoslavie. Le Ghana n’a pas échappé aux règlements de compte effectués sous l’oeil attentif des services américains. (Voir à ce propos le livre édifiant de William Blum: «Les guerres scélérates» et par exemple les livres de Marchetti et Marks ainsi que de Bob Woodwards.)

Ce qui s’est passé avec la Yougoslavie depuis 1990 est significatif de la remise à l’ordre par les puissances occidentales des pays ayant dirigé le mouvement des non-alignés. Il est évidemment impossible de savoir ce qui se trame dans les coulisses. Mais lorsque la Slovénie et la Croatie ont publié des proclamations d’indépendance, l’Allemagne s’est ruée sur l’occasion pour les reconnaître comme nations, sans attendre les processus de négociations internes à la Yougoslavie. Et toute la machine infernale s’est mise en branle sous la forme d’une sombre guerre qui a vu la fédération yougoslave se déchirer et se démanteler dans une incohérence indescriptible. L’essentiel des horreurs a été généreusement attribué à la Serbie, et les informations unilatéralement anti-serbes que nous recevions dans nos pays avaient un fort caractère de propagande.

Les puissances occidentales se sont manifestées en faisant intervenir l’OTAN (organisme militaire chargé de mission au service des «gendarmes du monde»), l’ONU dans un costume militaire de circonstance répondant au nom de FORPRONU, et ensuite le TPI, tribunal pénal international, toutes organisations à leur solde, en l’occurrence.

Savoir comment réellement les choses se sont passées n’est pas possible. Mais on a pu voir que les opérations de «pacification» ont toutes concouru à mettre de l’huile sur le feu et à alimenter les divisions, les haines et les actes de guerre.

Il n’est que de rappeler que Srebreniça fut décrétée «ZONE DE SÉCURITÉ» par les forces de l’ONU et l’inénarrable général Morillon, et aussitôt abandonnée à la vindicte des Serbes, qui y perpétrèrent un horrible massacre, en riposte à de graves exactions commises par le commandant bosniaque Naser Oric que ces mêmes forces de l’ONU n’avaient pas non plus empêchées.

Et puis finalement, il y a ce Tribunal pénal international, qui est une offense au droit le plus élémentaire, dans le sens qu’il sélectionne ceux qu’il condamne dans le total arbitraire du «droit du plus fort». Ce TPI qui, par exemple, a obéi au diktat américain et décrété que les citoyens américains n’étaient pas poursuivables. Ce qui permet donc aux USA d’aller écraser qui ils veulent, quand ils veulent et où ils veulent, comme ils l’ont fait au Vietnam, en Irak et en Afghanistan, et comme ils continuent de le faire à l’aide de leurs drones, sans que justice soit rendue pour ces nombreux crimes.

L’éclatement de la Yougoslavie est un sombre épisode de l’histoire contemporaine qui a été largement passé sous silence dès que cela a été possible. Cela s’est passé à nos portes, et pourtant il semble que ça n’inquiète plus personne. Les «devoirs de mémoire» eux aussi sont sélectifs, il en est qui ressuscitent à périodes régulières et d’autres qui sont plus confidentiels.

L’article très bouleversant de l’oncle Phil m’a rappelé toutes ces choses.

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Un commentaire à “L’éclatement de la Yougoslavie ou quand les devoirs de mémoire sont sélectifs”

  1. Oncle Phil 7 juin 2016 at 21:03 #

    Merci Monsieur Walter pour votre synthèse et votre réflexion approfondie

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