Dans une Amérique latine minée par la corruption, le développement n’a profité qu’à une petite minorité


Le long feuilleton tragi-comique auquel a donné lieu le processus de destitution de Dilma Roussef au Brésil n’est que le révélateur d’une situation plus générale concernant une grande partie de l’Amérique latine.

PAR ALBERT EBASQUE

En effet, à l’exception notoire d’un Chili dont le développement se poursuit depuis plusieurs années sans soubresauts particuliers, tous les pays du sous-continent souffrent des mêmes maux qui ont pour nom corruption politique, misère sociale, violence urbaine et régression socio-économique, les quatre étant intimement liés. Deux décennies après le retour de la démocratie et des élections libres, force est de constater que le développement aura avant tout profité à une petite minorité même si, au Brésil par exemple, la classe moyenne a elle aussi recueilli ces dernières années quelques fruits de la croissance.

Mais le mal absolu, c’est la corruption. Pour que le phénomène existe et se développe, il faut trois facteurs: un corrupteur, un corrompu et sans doute aussi un Etat un peu complice car se révélant incapable de mettre en place les règles de droit et la réglementation qui rendraient difficiles ou impossibles de tels agissements que la morale réprouve. Mais le problème réside dans le fait que la plupart du temps, le corrompu est aussi celui qui représente l’Etat ou bien le pouvoir local et a donc entre ses mains la décision d’attribution du ou des contrats. La question qui se pose est donc celle de la moralisation de la fonction publique et de la classe politique. Certes, tous les fonctionnaires ou décideurs ne sont pas malhonnêtes, mais la complexité des règles administratives permet à nombre d´entre eux de s’arroger des droits de «facilitateurs» leur permettant de se faire rémunérer par celles et ceux qui souhaitent obtenir le marché convoité.

Malheureusement, la corruption n’est pas un mal dont l’Amérique latine a l’exclusivité. Car on peut compter sur les doigts des deux mains les pays ayant réussi à faire quasiment disparaître ce phénomène… ce qui est fort peu. Parmi eux, Singapour dont l’ancien premier ministre et «père de la nation» disparu l’an dernier, Lee Kuan Yew, disait que le meilleur moyen d’éradiquer cette gangrène était de surpayer ministres et fonctionnaires. Encore faut-il en avoir les moyens financiers et la volonté politique, ce qui est possible dans un pays riche et de petite taille étant beaucoup plus compliqué lorsque le territoire est immense. Car dans ce cas le pouvoir local peut facilement faire l’impasse sur les règles d’un pouvoir central éloigné et sans doute lui-même peu enclin à entraver la bonne marche des affaires des barons de province (ceux que les Brésiliens appellent les «caciques du macadam»).

L’Amérique latine est donc en ce moment sous les feux des projecteurs car que ce soit au Brésil, en Argentine ou au Venezuela pour des raisons différentes avec la chute des revenus du pétrole, la crise économique, sociale et politique est bien présente. Et ce qui la distingue des autres crises dans d’autres régions du monde c’est l’idée selon laquelle la corruption des élites et de certains corps intermédiaires est une fatalité à laquelle ce sous-continent ne pourra jamais échapper. Combien de générations faudra-t-il pour éradiquer ce monstre qui ressemble à une hydre dont les tentacules ne cessent de repousser après ablation? Des femmes et des hommes courageux se battent chaque jour contre ce mal absolu, mais leur combat ressemble à celui de David contre Goliath avec sans doute une issue moins heureuse que dans la légende.

Ce sous-continent regorge de richesses naturelles et dispose de nombreux atouts pour combattre la misère et la pauvreté. Mais les comportements de nombre de décideurs mettent en péril un développement harmonieux dans plusieurs secteurs de la société. Le défi du XXIème siècle est donc une vaste opération «mains propres» appelée de ses vœux par des citoyens sans trop d’illusions mais dont la patience ne sera certainement pas sans limites.

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