Paradis, dedans-dehors


Le plaisir de s’engouffrer dans la salle obscure, comme dans notre enfance, s’apparente à un jeu de cache-cache.

PAR SIMA DAKKUS RASSOUL

Tout y tient du rituel: choix du fauteuil, installation. Se couper formellement de son univers familier intérieur et extérieur. L’extinction des lumières. L’écran s’éclaire et on regarde. Ce que l’on comprend et ce que l’on comprend moins.

Le réalisateur Sina Ataeian Dena, dont Paradise est le premier film, a été primé à Locarno (Prix du Jury œcuménique) et à Zurich Festival Film 2015 (Nouvelle vue mondiale Iran). C’est le volet initial d’une trilogie sur la violence. Son traitement de ce thème est en soi remarquable. Au lieu d’afficher la violence, il en fait sentir les effets dans la vie quotidienne –, règles imposées, rigides et formelles, agression physique, violence psychologique. Il sait en même temps dessiner des relations humaines proches et solidaires qu’un subtil voile de tendresse recouvre.

Le cinéaste cible la réalité iranienne par le biais de la situation des femmes. Le personnage témoin, Hanieh, une jeune femme de 25 ans, enseigne dans un établissement scolaire d’une lointaine banlieue de Téhéran. Elle souhaiterait être mutée plus proche de la capitale où elle habite avec sa sœur et son beau-frère. En attendant, – et quel pays ne connaît pas les lenteurs administratives -, elle passe de longues heures dans les transports en commun, bus et taxis entre la maison et son école. Une grande inquiétude secoue dans le même temps l’établissement où elle travaille, car deux élèves sont portées disparues.

Hanieh a un petit ami. Très complice de sa sœur, elles partagent une grande affection. La présence et l’utilité d’un mobile sont évidentes, comme partout dans le monde contemporain. Elle porte le hijab dans le cadre de son enseignement et un foulard avec des habits – pantalon et veste – dans ses moments de liberté. Sa vie quotidienne est une sorte de road movie circulaire à travers une vie séparée en deux univers différents.

Hanieh regarde à plusieurs reprises à travers un aquarium. On sait ce qu’est un poisson et quel est son environnement, mais on n’est pas poisson… Métaphore du spectateur qui regarde le visage d’Hanieh regardant l’aquarium ? Mise en abîme poétique de l’œil du public sur ce qui lui est extérieur, voire étrange ?

Au cœur du film, les jeunes adolescentes avec leurs bonnets et collerettes blancs, destinés à cacher le cou, émeuvent et font pressentir le débordement d’énergie d’une jeunesse iranienne dont on sait que le féminin forme une grande partie. Elles s’éparpillent avec la légèreté de papillons. Et leurs cris évoquent une volée de moineaux. Elles sont l’âme du film. Leur mouvement d’ensemble pour la prière et la gymnastique préfigure une force extraordinairement vivace que le contexte très réglementé ne suffit pas à maîtriser.

La direction de l’école met à disposition des fillettes un filet et des ballons de volleyball tout en leur expliquant que le football n’est pas un jeu de filles. Cela ne les empêche pas de taper joyeusement dans le ballon dans la cour de récréation avec des cris débordants. Sous la surveillance de la directrice dont la voix sévère ne suffit pas à se faire respecter immédiatement. Ces signes de désobéissance sont hautement symboliques pour une génération à venir. Ces adolescentes sont le torrent qui peut déborder de son lit et construire un autre monde.

À quoi servirait de voir des films du bout du monde si ce n’est pour dialoguer avec la vie des autres. Changer de place le temps d’une séance. Dans Paradise, malgré la rigidité du contexte, la douceur et l’amabilité des relations humaines restent intenses. Autant avec la fonctionnaire qui traite le dossier de mutation de Hanieh que le brocanteur qu’elle rencontre dans le café et dont elle visite l’atelier. L’humanité persiste à travers l’idéologie et la propagande que dénotent les images des reflets médiatiques dans les événements du monde.

Les films venant de pays lointains contiennent toujours des signes subtils pour indiquer le chemin pour les regarder. Ils nous renseignent aussi discrètement sur comment ils voient notre monde occidental. Le plaisir d’un public attentif et curieux au-delà des clichés est garanti avec ce très beau film. Il laisse un espace de liberté à l’imagination des spectateurs.

La vie n’est-elle pas un mélange d’événements concrets et de l’imaginaire qui les colore ? La rigueur du documentaire alliée finement à la fiction fait de Paradise, dont le titre en farsi est «Nous, au paradis», ce nouveau souffle du jeune cinéma iranien que l’on avait déjà observé dans Taxi de Jafar Panahi. Et ils ont en commun ces voix que la censure ne réussit pas à faire taire. Courez vite voir Paradise.

5 décembre 2016.

Genève, Cinélux
Lausanne, Le Zinéma
Neuchâtel, Cinéma Minimum
Delémont, Cinéma La Grange
Fribourg: Rex

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