Haro sur les médias afghans


Après que les Etats-Unis ont salué le courage des médias afghans, les risques de menaces sur la liberté d’expression en Afghanistan continuent à se faire jour.

PAR SIMA DAKKUS RASSOUL

En effet, les médias de ce pays meurtri paient le prix fort en vies de journalistes. Exemplaires, ils sont par là même un danger pour les régimes autoritaires de la région.

Le 16 mai, une attaque contre le média national Radio Télévision Afghanistan (RTA) à Jalalabad, Nangarhar a secoué l’ouest du pays. Elle a été fermement dénoncée par la Fédération internationale des journalistes (IFJ) et l’Association afghane des journalistes indépendants (AIJA).

Il y a deux ans, sept journalistes de Tolonews ont été tués dont deux femmes. Ne pas communiquer à la presse le nombre exact des pertes ou de les revoir à la baisse lors d’attentats se confirme. Les journalistes afghans se rendent néanmoins sur place avec les risques que l’on devine. Dans cet attentat, le journaliste de Tolonews, sans même un gilet pare-balle, faisant son métier au milieu d’hommes armés, soldats et attaquants, faisait figure de symbole de résistance.

En observant la situation afghane, on constate que les médias constituent la seule source d’information pour la population qui souffre d’une guerre sans fin. Ils offrent tous des débats contradictoires, des émissions d’analyse politique et historique. C’est un moyen important pour les Afghans pour ne pas rester confinés dans le double discours de l’information-propagande de source gouvernementale ou de pays extérieurs ayant des intérêts innomés.

Un événement politique récent peut éclairer à la fois le rôle actif et citoyen des médias et les périls plus grands auxquels ils pourraient être exposés dans un avenir proche.

Gulbuddin Hekmatyar, ancien chef de guerre, est récemment arrivé à Kaboul, accueilli par le gouvernement afghan. Un retour planifié depuis la fin de l’année qui a suscité de vives préoccupations, des débats et des manifestations parmi la population afghane et la classe politique. Il vient d’entrer le 6 mai à Kaboul, avec ses partisans armés d’Hezb-e-islami, parti politique dont quelques membres ont pignon sur rue dans le gouvernement actuel.

Le retour de celui qu’on a appelé le Boucher de Kaboul, accusé d’avoir commandité le bombardement intensif de Kaboul au début des années 1990, faisant des milliers de victimes dans la capitale afghane, a été préparé depuis des mois. Le nom d’Hekmatyar se trouvait sur la liste noire de l’ONU. Après toutes sortes d’oppositions et de pourparlers secrets, il a été récemment «blanchi» par la communauté internationale. Le gouvernement et ses partisans l’ont présenté comme une opportunité d’amener la paix en Afghanistan en tablant sur son influence sur les talibans.

Reçu comme un chef d’Etat par les autorités afghanes, ses anciens compagnons ont été libérés de prison. Le gouvernement a alloué des fonds à ses hommes venus armés à Kaboul. En dépit du fait que personne ne connaît exactement la teneur des accords signés avec le gouvernement, Hekmatyar aurait accepté la Constitution afghane comportant notamment l’égalité homme-femme et la liberté d’expression.

Mais les positions de l’ancien chef de guerre démentent ces informations. Ses hommes refusent de déposer leurs armes et disent qu’ils sont de retour sans condition. Ils promettent cependant de ne pas s’en servir contre les soldats du gouvernement. L’accueil de son parti et de ses partisans n’empêche pas que les manifestations de protestation de la population dénotent colère et peur. Les familles des victimes réclament un tribunal international.

Trois points du discours d’Hekmatyar à son retour méritent d’être soulignés. Ils contredisent ses déclarations d’intentions dans les accords passés.

Il prend les médias comme première cible. Notamment il critique les émissions musicales, réveillant des restrictions de sinistre mémoire dans la période du gouvernement taliban. La réponse est venue sans tarder sous forme d’avertissement du secrétaire général de l’UNAMA (United Nations Assistance Mission in Afghanistan) à Kaboul, invitant les politiciens à ne pas parler contre la liberté d’expression.

Il critique directement un gouvernement à deux têtes – le gouvernement actuel d’unité nationale mis en place par John Kerry. Il voudrait un gouvernement unitaire et fort. Partant de là, reconnaît-il ou non le gouvernement actuel? Soutien ou opposition politique?

Il souhaite réduire le nombre des organisations politiques qui sont très nombreuses en Afghanistan. Il prône de ne reconnaître que les grands partis. Une attaque sans détour envers la pluralité et la diversité politique afghanes.

Ces éléments visent les points sensibles de la démocratie afghane et de sa Constitution. La situation d’insécurité et de guerre crée des actions d’exception, menées par le chef de l’Etat sans égard pour les lois ni les désirs exprimés par la population.

Que veut Gulbuddin Hekmatyar? Ses liens de longue date sont connus avec les services secrets pakistanais et américains. Même s’il a démenti leur poursuite dans un entretien en septembre 2010. «Nous ne permettons pas à nos membres de rejoindre un gouvernement de pantins, contrôlé par les étrangers», déclarait-il alors en exclusivité à rfi.

Sa présence est interprétée par certains comme le signe d’un pas en avant de l’ingérence des pays extérieurs dans la politique intérieure afghane.

Cela nous rappelle si besoin était que protéger ses médias et les inciter à faire un travail digne et indépendant devrait entrer dans la conscience des citoyens du monde pour se protéger de la pollution de l’information et de sa manipulation.

En effet, l’information est, ou pourrait être, le rempart des limites à ne pas franchir pour tout pouvoir dans la démocratie. Et cela n’est pas seulement le cas pour l’Afghanistan.

Pour s’informer: Kabul Security Now

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