Dites-nous… Blaise Rostan, auteur de “La Publicité – Enjeu du financement mixte de l’audiovisuel en Suisse”


La Méduse: Blaise Rostan, vous avez travaillé en tant que juriste à la Société suisse de radiodiffusion, la SSR, et vous êtes un spécialiste des médias. Vous venez de publier chez Slatkine l’ouvrage «La Publicité – Enjeu du financement mixte de l’audiovisuel en Suisse». Vous avez mené une recherche historique intéressante dans la mesure où vous montrez l’évolution en dents de scie des rapports entre les éditeurs de la presse écrite et le service public de télévision. En filigrane, il y a aussi les relations que ces mêmes éditeurs entretiennent avec l’Association de la presse Suisse, l’APS, l’ancêtre d’impressum, la faîtière des journalistes. En ce temps-là, règne encore le grand amour.

Blaise Rostan: Vu leur rôle, les éditeurs avaient intérêt à défendre leurs produits et leurs parutions et travaillaient de manière quasiment jumelée avec l’APS. C’est l’âge d’or de la presse et des journaux d’opinion. Leurs intérêts sont communs, notamment lors de l’apparition de la radio dans les années 1920 1930. Ils craignent que ce nouveau media ne se lance dans l’information et vont imposer leur vision, en obligeant la SSR à ne diffuser que quelques bulletins quotidiens en provenance de l’agence télégraphique suisse (ATS), agence créée par les rédacteurs et éditeurs. C’est une forme de mise sous tutelle de la radio qui va durer plusieurs décennies. Un autre intérêt commun est d’empêcher la radio de recourir à la publicité, ce que le Conseil fédéral va reprendre par une interdiction de la publicité inscrite dans les concessions. Cette interdiction va même s’imposer par la suite et être inscrite dans la LRTV de 2006 (loi sur la radio et la télévision). La défense de ces intérêts communs de la presse et des éditeurs connaît un nouvel élan avec la crainte devant la montée de la télévision.

Jusqu’au jour où la télévision s’impose dans le paysage médiatique, les éditeurs réalisent qu’elle est une concurrence pour eux et la lâchent. Du coup, les relations avec l’APS se font plus distantes aussi.

Ce nouveau média est tout de suite ressenti comme un média de masse, populaire, pouvant affaiblir toute réflexion critique. Dans les salves qu’ils déclenchent avec l’appui des journalistes de la presse écrite, les éditeurs veulent démontrer que l’Etat n’a pas de compétence en matière de radio et de télévision. Ils arrivent à leurs fins car le peuple refuse une base constitutionnelle le 3 mars 1957. C’est une victoire à la Pyrrhus, car la TV s’impose partout en Europe et il va bien falloir trouver des moyens pour la financer. C’est le premier débat sur le financement par la publicité qui s’impose et déclenche de la part des éditeurs une solution constructive pour l’éviter. Ils acceptent de financer, eux-mêmes, la TV par un montant de 2 millions par an pendant 10 ans contre l’engagement d’une interdiction de publicité durant la durée du contrat. Cette solution est acceptée par le Conseil fédéral mais ne va durer que quelques années car, déjà en 1961, les conditions fixées dans le contrat sont remplies et les éditeurs sont dégagés de leur obligation de payer. Cela annonce un tournant dans l’histoire de l’audiovisuel. Afin de permettre le développement de la télévision, le Conseil fédéral va introduire le financement mixte (redevance et publicité) en autorisant la publicité à la télévision. C’est un véritable coup de maître de la part du gouvernement qui demande aux éditeurs et à la SSR de proposer une réglementation en matière de publicité. La publicité est introduite en 1965 et le financement mixte s’impose comme modèle. Ce système, formule originale en Europe, a permis aux 3 acteurs (Editeurs, Presse suisse et SSR) de collaborer au sein de la société anonyme pour la publicité à la télévision (SAPT). Ce financement mixte a permis le développement réel du média télévisuel mais aussi un certain nombre d’économies en faveur des usagers qui paient la taxe de redevance. Aujourd’hui, cette approche du gouvernement va avoir des conséquences positives puisque la taxe de redevance payée à Billag va diminuer de près de 60 frs en passant de 451 à moins de 400. Cette mise en place du service public par le conseil fédéral est donc exemplaire, en donnant aux trois acteurs l’occasion de collaborer lors du choix de ce financement.

Aujourd’hui la télévision perd de l’audience au profit des médias numériques. Où va-t-on? Les relations vont se tendre encore plus?
La publicité ne se trouve plus uniquement sur le papier ou sur les ondes et les grands acteurs du numérique l’utilisent sur leurs réseaux pour capter le consommateur. La redistribution des revenus de la publicité est un élément fondamental qui a perturbé aussi bien les éditeurs et la presse que l’audiovisuel. Un premier changement est apparu avec les fenêtres publicitaires étrangères qui visent la Suisse et qui ont connu un développement étonnant puisqu’elles ponctionnent près de la moitié des revenus publicitaires télévisuels suisses soit plus 316 millions. Ce qui est regrettable avec l’ouverture des fenêtres publicitaires imposées à la Suisse par Bruxelles, c’est l’utilisation de la liberté économique transfrontière pour enlever des revenus publicitaires sans aucune contre-partie pour la production audiovisuelle helvétique. Le deuxième changement concerne l’avènement du numérique qui met en cause les acteurs traditionnels comme les éditeurs, les journalistes et les médias audiovisuels. Le lien traditionnel qui plaçait l’usager dans un rapport passif face aux journaux, la radio et la télévision est bouleversé et les acteurs du numérique s’adressent directement au consommateur tout en lui imposant une publicité directe. En effet, la révolution numérique redistribue les rôles des acteurs et aussi bien l’information que la publicité se développent sur de nouveaux vecteurs.

Propos recueillis par Christian Campiche

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