Trois polars, genevois, vaudois et neuchâtelois


Si les amateurs helvétiques de romans policiers se régalent de l’œuvre sombre d’Henning Mankell et de ses émules suédois ou islandais, ou goûtent le charme vénitien du commissaire Brunetti dans les romans de Donna Leone, ils éprouvent un plaisir particulier à lire des histoires qui se passent dans des lieux qui leur sont proches.

PAR PIERRE JEANNERET

C’est sans doute ce qui contribue au succès des aventures de l’inspecteur Perrin sous la plume de Michel Bory. C’est aussi ce qui a contribué à faire du sanglant et théologique polar de Marc Voltenauer, Le Dragon du Muveran, un véritable bestseller, en tout cas à l’échelle romande.

L’éditeur Slatkine vient de publier Genève Trois pour sang. Après Genève Sans dessus dessous, c’est le deuxième recueil qui réunit trois auteurs.

Dans une histoire, Les doigts de la main, surtout faite de dialogues, Corinne Jaquet se penche sur l’assassinat du violoniste Stefan Beck, retrouvé étranglé au pied du Mur des Réformateurs. Dans une chute que ne renierait pas Agatha Christie, tout s’explique par l’action machiavélique de l’un des personnages.

Plus intéressant est le récit produit par André Klopmann, La diablerie des ossements. Celui-ci présente un attrait particulier en nous faisant bien connaître Genève, sur laquelle l’auteur nous donne, sans pédanterie, de nombreuses informations historiques. C’est pétri d’érudition, mais agréable. Le plaisir de la lecture est aussi dans le langage, qui joue volontiers sur les mots. Mais l’originalité de cette histoire est qu’elle nous plonge dans le Moyen-Age et dans une sombre histoire de fausses reliques. Il y a chez André Klopmann un petit côté Umberto Ecco…

Sandra Mamboury a écrit Le chapitre fantôme. Son héroïne Cécile Rivière, auteure à succès et collectionneuse d’amants, voit publier un livre dont elle n’avait pas encore écrit le dernier chapitre. Puis une série de faux rendez-vous, de rencontres étranges, vont la plonger dans le désarroi et la mener aux confins de la folie. Qui est l’auteur de cette terrible machination destructrice? C’est ce que le lecteur finira par découvrir, au terme de cette histoire kafkaïenne.

A l’Age d’Homme est sorti Fascination de Steve Mons (de son vrai nom Steve Vuille). Disons-le, cet opus, le premier de l’auteur à être publié, ne vaut pas prioritairement par ses qualités littéraires: le style en est un peu plat, et non exempt de clichés. Le roman – qui n’est pas stricto sensu un polar – séduit cependant par la justesse des rapports psychologiques entre les personnages, et par l’atmosphère à la fois étrange et un peu inquiétante qui s’en dégage.

L’histoire se déroule explicitement à Lausanne, mais sans que les lieux évoqués y jouent un rôle important. Marlène est une enseignante, déçue par son métier et par le vide de sa vie sentimentale. Ses rapports avec son père en EMS, qui n’a jamais reconnu sa valeur, sont tendus. Ce préambule, qui peut paraître un peu long au lecteur, se justifie cependant par la suite du roman, où va régner un véritable suspense. Marlène assiste en effet à une altercation dans un couple, suivie d’une chute mortelle. Accident ou meurtre? L’inspecteur Lambert penche pour la seconde hypothèse et soumet la jeune femme, au titre de témoin, à des interrogatoires serrés.

Or Marlène a été fascinée par l’homme du couple, plus jeune qu’elle de dix ans. Elle va nouer avec lui une relation sentimentale et sexuelle intense. Mais le doute sur ce Peter au passé trouble est omniprésent: est-il un assassin? un séducteur qui a volé ses précédentes compagnes? un innocent injustement accusé? L’intérêt du livre est dans cette coexistence chez Marlène entre la passion et le doute, dans lequel l’auteur laisse le lecteur au terme de son roman.

Le Neuchâtelois Jean-Claude Zumwald a déjà à son actif une série de romans policiers mettant en scène le détective privé Victor Aubois. Il aime articuler les énigmes autour de thèmes historiques contemporains. Par exemple, dans Les deux squelettes, paru en 2015, le drame des enfants placés dans des familles ou institutions et maltraités était au centre de son intrigue. Celle de Un crime ou deux à Mont-Solitude (Editions Mon Village) concerne les différents négationnismes, comme on l’apprendra sur le tard.

L’intrigue tourne autour d’un crime déjà ancien, découvert à Neuchâtel en 1947. Avec la multiplicité des personnages et ses détours, celle-ci est assez compliquée et requiert du lecteur une certaine attention. Mais il appréciera au passage l’élégance de la langue, le sens de l’humour et de l’ironie, lorsque sont évoqués les milieux sociaux de la bonne bourgeoisie neuchâteloise ou des bobos. Tout cela est bien enlevé et témoigne d’une plume déjà rodée.

On peut cependant regretter que cette littérature policière romande, au contraire de celle des Scandinaves évoqués au début de cet article et dont l’intérêt majeur réside dans la fresque critique souvent noire qu’ils donnent de la société, relève plutôt du divertissement et – à l’exception peut-être du dernier auteur nommé – n’ait guère de portée sociale.

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Un commentaire à “Trois polars, genevois, vaudois et neuchâtelois”

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    Sima Dakkus Rassoul 31 mai 2017 at 12:27 #

    Bonjour Pierre,
    Cela me rappelle les discussions sur l’écriture des femmes, sur les femmes et l’écriture féminine.
    Vivent les bons polars et les écrivains romands.
    Bonne journée
    Sima

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