Labyrinthe


Oœuvre publiée sur Facebook, le 26 mai 2017

« En Art « on n’arrête pas le progrès ». Sans le ton ironique habituel à cette affirmation. On n’arrête pas le progrès en art, parce qu’en art il n’y a pas de progrès, mais l’affirmation toujours différente de l’Énigme qui ne cessera jamais de constituer la trame de fond de la conscience d’être, propre à l’humaine condition. »

Naceur Ben Cheikh, 2017

Devant ce tableau, une foule de sensations ont touché en moi une fibre sensible qui non seulement réagissait par le plaisir sensuel des yeux, mais demandait à s’exprimer.

PAR SIMA DAKKUS RASSOUL

Quelle gageure ! Mais s’engager dans les dédales de la richesse d’une œuvre produit précisément un choc qui se transforme en ce miel que l’on nomme le plaisir esthétique. Et le partager est la seule voie.

« C’est en renonçant à l’utilisation des outils informatiques, tels qu’ils sont programmés à des fins de reproduction analogique des effets de peinture, que l’on peut faire produire à ces mêmes outils un art numérique qui n’obéit qu’à la logique de son propre mode de production », dit Naceur Ben Cheikh. L’artiste n’est pas au service de la technique, quelle qu’elle soit, mais se distingue par sa manière d’arpenter sans cesse et infatigablement, par tous les moyens, ce chemin secret.

Souvent, je tombe en arrêt devant les créations numériques de Naceur Ben Cheikh et leur finesse. Formes et couleurs sont pleines, débordantes et en dialogue les unes avec les autres. Ce labyrinthe qui s’offre à nos yeux m’affole par les détails et son voyage en rencontres intérieures. Les couleurs balisent le chemin et irradient les motifs. Me frappe la sensation très complexe de formes archaïques que l’œil recueille et fait pénétrer dans mon cerveau primitif. Jaillit l’intuition fulgurante d’un savoir très ancien et cependant très proche. Le temps et le passé sont des constructions a posteriori. Le présent du regard, seul, donne la mesure de l’art et du labyrinthe de la mémoire.

Fascinants par le raffinement de leurs formes et par la profondeur de leur inspiration poétique, ces tableaux sont des faits esthétiques. Poiêsis pour les Grecs signifie « création », du verbe poiein (« faire », « créer »). L’énigme de leur message, aussi prégnant que celle de toute œuvre forte, me renvoie impitoyablement et en douceur à ce que je suis capable de voir. Les limites de ma condition humaine. L’art nous dessille les yeux. Ce qu’on croit voir nous engage autant, sinon plus que ce que l’on voit.

« Au départ, une image purement numérique, produite par l’usage erratique d’un logiciel qui n’attendait que ça pour Organiser le Chaos d’Origine, en le rendant visible, sous forme d’icône, Objet de vénération sacralisante de la part du petit peuple de Bab Souika qui n’avait pas encore transformé le « sacré » (ça crée) en illicite ». Bab Souika, une des portes de la medina de Tunis, détruite en 1861 qui a donné son nom à ce quartier de la ville, porte du petit souk populaire de la capitale.

Les images numériques de Naceur créent en humanisant les outils dont il se sert et invente une esthétique propre. Le monde s’y mire et cela se comprend. Ce plasticien et spécialiste de l’histoire de l’art s’est baigné à la Sorbonne dans l’esprit des lumières et l’allie à sa grande culture tunisienne.

Le mythe que figure le labyrinthe renvoie à l’universel. Se perdre est une manière de se retrouver à neuf. Orients et Occidents revêtent dans ce tableau un sens au-delà de leurs frontières. Nous nous targuons de « faire circuler » les cultures de la hauteur de nos vaines ambitions. Quelle présomption ! Aux temps de l’Antiquité, chaque penseur savait quel était le philosophe à connaître, à critiquer en ce temps-là. Il n’existait pourtant aucun des moyens techniques dont nous disposons. Le Moyen Age, à la naissance de notre langue française, liée au latin, ne connaissait Aristote jusqu’au XIIe siècle que par les commentaires de son œuvre par les philosophes arabes.

Il en va de même des mystères des formes dont les origines se cristallisent sur des époques et des cultures, mais dont les racines se plongent dans la nuit des temps. Elles traversent l’éternité. L’image du labyrinthe qui s’est imposée à moi raconte tous ces trajets, les illusions d’avancées, les progrès et les régressions.

Dans ce tableau flamboyant de beauté mystique, je vois un labyrinthe qui donne sens à la vraie recherche, celle dont l’issue se projette à l’infini. Comme le disait Umberto Eco à propos du labyrinthe, « chaque route peut être la bonne, pourvu qu’on veuille aller du côté où on va».

Naceur Ben Cheikh, Artiste peintre, journaliste culturel et politique et enseignant à l’Université de Tunis depuis les années soixante-dix. Il est Professeur émérite d’Enseignement Supérieur en Sciences et Techniques des Arts à l’Ecole Supérieure des Sciences et Technologies du Design.(Denden) (Université de Manouba).

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