Lecture – Comprendre les enjeux de la mobilité


Un ouvrage didactique et stimulant.

PAR MICHEL REY

Faut-il penser les transports pour qu’ils soient les plus rapides possible? Le péage urbain modifie-t-il les comportements de mobilité? La disponibilité de places de stationnement a-t-elle un effet sur l’usage de la voiture?

Ces trois questions font partie d’une dizaine d’interrogations posées dans un ouvrage collectif récent, La mobilité en questions. Pour chaque thème, les auteurs font le point sur les aspects théoriques, présentent et commentent les «bonnes pratiques», tant en Suisse qu’à l’étranger. Facile d’accès, l’ouvrage fournit beaucoup d’informations, dont une vaste bibliographie, utiles à celles et ceux qu’intéressent les politiques des transports et de la mobilité.

Des politiques de la vitesse sélectives

L’accroissement de la vitesse a constitué pendant longtemps l’une des principales priorités des politiques de transport. (A. Audikan et S. Binder)  Grâce à une vitesse plus élevée, de nouveaux territoires ont été rendus accessibles. Cela s’est traduit par un choix de localisation plus large en faveur des entreprises et des ménages.

Aujourd’hui la politique d’investissement en matière de transport, comme l’a montré le débat de 2014 en Suisse sur le financement de l’infrastructure ferroviaire, est bien plus orienté vers la résolution de problèmes de capacité et de cadencement.

Qui plus est, en milieu urbain, les autorités locales semblent de plus en plus enclines à adopter des mesures de limitation de la vitesse du transport individuel motorisé. Les politiques de la vitesse deviennent de plus en plus sélective et gagnent en sophistication. Elles prennent en compte d’autres éléments comme le confort, le cadencement, la flexibilité et sécurité des déplacements. Deux mesures sont privilégiées: les limitations de vitesse ainsi que les aménagements urbains.

Une nouvelle route ne supprime pas les embouteillages

Le temps consacré aux déplacements constitue un facteur essentiel pour comprendre les problèmes de mobilité et de transport. Se déplacer prend du temps et un individu rationnel cherche à minimiser le temps passé dans les transports. Faut-il alors construire plus de routes pour limiter les embouteillages (M. Bierlaire et D. Baehler)?

Pour ces auteurs, l’ajout d’une nouvelle infrastructure de transport ne permet pas systématiquement de diminuer les congestions. Développer l’offre conduit chaque acteur, par exemple les automobilistes, à vouloir améliorer sa situation individuelle, son temps de trajet, en empruntant les nouvelles routes. Les embouteillages résultent d’une inadéquation entre l’offre en transport (c’est-à-dire l’infrastructure) et la demande en transport (c’est-à-dire les choix des voyageurs).

L’intuition de corriger cette inadéquation ne fonctionne de loin pas toujours. Le comportement égoïste des automobilistes engendre «l’anarchie» sur les routes. Faute d’une coopération entre les automobilistes, les nouvelles infrastructures sont bouchées et n’améliorent pas la fluidité du trafic. On peut ajouter qu’il n’est pas possible d’étendre à l’infini les infrastructures de transport.

Le péage urbain comme régulateur du trafic

Autre question abordée: le coût, notamment celui de la voiture. Il a un impact fort sur le mode et la décision de mobilité. Son examen se fait à travers les effets du péage urbain sur les comportements de mobilité ainsi que les effets de la disponibilité de places de stationnement sur l’usage de la voiture.

En 2006, la ville de Stockholm a introduit un péage urbain (A. Danalet et A. Audikana). Accepté alors par 53% des votants, il est soutenu par 70% des personnes interrogées selon un sondage de mai 2011. Mis en place à l’entrée du centre-ville avec un tarif qui varie en fonction de l’heure d’entrée dans le centre, il démontre qu’une faible baisse du trafic (de 20%) peut avoir un impact important sur les embouteillages. Il modifie les habitudes de mobilité et peut même faire disparaître certains trajets. Le coût différencié incite les individus à utiliser davantage les transports en commun, mais aussi à différer leur trajet dans des plages horaires où le péage coûte moins cher.

L’introduction d’un péage urbain à Lausanne a fait l’objet d’un débat politique en 2013. La Municipalité s’y est opposée, arguant que la ville ne connaissait pas d’engorgement notable. De plus, la Constitution suisse interdit de taxer l’utilisation des routes. Les deux auteurs relèvent que l’opinion des citoyens suisses par rapport aux problèmes de congestion urbaine est ambiguë. Ils reconnaissent l’existence du problème et soutiennent à 75% le principe de causalité «pollueur – payeur». Cependant, seule environ 40% de la population accepte l’instauration d’une redevance pour l’utilisation des routes (Etude Rapp 2007 pour l’Office fédéral des routes).

Le rôle clé du stationnement

La question du stationnement est abordée par D. Baehler et V. Kaufmann. Tout déplacement en voiture nécessite par définition deux places de stationnement: l’une au départ, l’autre à destination. Les conditions de stationnement ont une influence décisive sur l’usage de la voiture. C’est pourquoi le stationnement est aujourd’hui considéré comme l’un des principaux leviers des politiques de déplacements urbains, notamment pour favoriser un report modal de la voiture vers d’autres modes de transports.

Plusieurs études menées en Suisse (Lausanne, Genève et Berne) et en France (Besançon, Toulouse et Grenoble) montrent que la disponibilité d’une place à proximité du lieu de travail induit un usage quasi systématique de l’automobile. La modulation du nombre de places de stationnement sur les lieux de travail permet de diminuer l’usage de la voiture. Mais pour autant qu’il existe une offre complémentaire et efficace de transports publics.

Les espoirs du télétravail

La mobilité s’opère dans l’espace. C’est l’accès à un lieu distant qui est la raison de l’acte de transport. Avec les nouvelles technologies, on peut aujourd’hui réaliser des activités du quotidien sans se déplacer: travailler depuis chez soi, faire ses courses à l’aide de sa tablette, s’acquitter de tâches administratives en quelques clics. On en escompte une réduction du trafic, mais ce sont, encore aujourd’hui, des espoirs qui demandent confirmation. Les potentialités du télétravail sont examinées par E. Ravalet et P. Rérat.

Tout comme le développement du téléphone portable ou de la vidéoconférence ne semble pas nécessairement limiter les déplacements des personnes qui les utilisent, les effets du télétravail peuvent être mitigés. Il n’est généralement pratiqué qu’un jour ou deux par semaine, ce qui soulage le trafic aux heures de pointe. Mais il peut aussi contribuer à l’éloignement des personnes de leur lieu de travail.

Les études sont peu nombreuses en Suisse. Les réflexions proposées s’appuient sur deux expériences menées par les CFF et Swisscom. Il est difficile d’en généraliser les enseignements. Le recul manque pour évaluer l’impact de télétravail sur la mobilité.

Dépasser les débats de posture dans les politiques de la mobilité

La mobilité est omniprésente dans nos vies quotidiennes. Elle occupe l’agenda politique avec de nombreuses votations à tous les niveaux fédéral, cantonal et communal. Chacun plaide la complémentarité entre les transports publics et la voiture. Mais les débats prennent bien plus souvent la forme d’une guerre des tranchées. Pour les promoteurs des transports publics, il faut d’abord accroître l’offre de trains et de bus. Pour les défenseurs de la voiture par contre, l’accessibilité et le stationnement des voitures doivent avoir la priorité en ville.

Les contributions de l’ouvrage montrent bien les potentialités et les limites de chaque solution. Elles révèlent aussi l’importance du contexte territorial et institutionnel dans lequel se développe la mobilité. Les bonnes expériences sont intéressantes, mais on ne peut pas transposer sans autre des recettes qui ont fait leur preuve ailleurs.

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