“Dieselgate”, la dérobade fédérale


En Europe, le scandale des tests d’émission truqués joue les prolongations

PAR JEAN-DANIEL DELLEY

Les autorités des pays européens tout comme Bruxelles ne prennent guère au sérieux la gigantesque escroquerie à laquelle se sont livrés les constructeurs automobiles. Alors qu’aux Etats-Unis l’administration et la justice sont intervenues prestement et avec vigueur, l’Europe tergiverse et les consommateurs dupés attendent toujours réparation. La Suisse s’applique à suivre fidèlement cette attitude complaisante à l’égard de l’industrie automobile.

L’Association transports et environnement (ATE), les Médecins en faveur de l’environnement et la Fédération romande des consommateurs viennent de déposer une pétition à l’intention du Conseil fédéral. Ce dernier a mis en vigueur la nouvelle norme européenne applicable aux véhicules à moteur diesel. Mais elle ne concerne que les véhicules homologués à partir du 1er septembre 2017.

Tous les autres véhicules déjà homologués avant cette date pourront encore être vendus durant deux ans. En clair, 250’000 voitures seront mises sur le marché jusqu’à l’automne 2019, voitures dont les émissions d’oxyde d’azote (NOx) sont en moyenne cinq fois supérieures et pour certaines d’entre elles jusqu’à 18 fois supérieures à la nouvelle norme.

C’est pourquoi la pétition exige l’abolition de ce délai transitoire de manière à ce que les nouvelles valeurs d’émission entrent en vigueur immédiatement pour tous les véhicules neufs. Cette demande a peu de chance d’être entendue. En effet, en réponse à une motion de la conseillère nationale Evi Allemann (PS/BE), le Conseil fédéral plaide pour ce délai transitoire de deux ans.

Après avoir rappelé les grands principes – il attache la plus grande importance à la protection de l’environnement et à la santé de la population – le gouvernement dévoile ses véritables priorités: les prescriptions techniques ne doivent pas entraver le commerce, dit-il; la branche automobile serait pénalisée si elle ne pouvait vendre les véhicules déjà homologués avant le 1er septembre. Par ailleurs, insiste-t-il, la Suisse est liée à l’Union européenne par un accord de reconnaissance de l’homologation effectuée dans les pays de l’UE. Ce qui signifie que la Suisse respecte les décisions d’autorités, notamment en Allemagne (où l’industrie automobile représente 13% du PIB), qui ont admis des véhicules à la circulation sur la base de données trafiquées.

Ce faisant, la Suisse s’aligne sur la politique pour le moins accommodante de l’Europe. Amag, le représentant exclusif du groupe Volkswagen pour notre pays, refuse tout dédommagement en faveur de ses clients dupés. Il n’offre qu’une mise à jour gratuite du logiciel trafiqué. Et comme la Suisse ne connaît pas la plainte collective, la Fédération romande des consommateurs organise une telle procédure devant la justice allemande.

Cette attitude timorée de l’Europe et de la Suisse tranche avec l’intervention rapide et ferme des autorités américaines. Dénoncée par une organisation non gouvernementale, l’escroquerie à grande échelle du groupe VW a mobilisé aussitôt l’Agence de l’environnement ainsi que la justice. D’ici juin 2019, 85% des 59’000 véhicules concernés doivent être mis aux normes ou retirés de la circulation. VW a l’obligation de racheter les véhicules dont les propriétaires ne veulent plus et d’indemniser les autres pour perte de valeur de leur voiture. Par ailleurs le constructeur a versé 2,7 milliards de dollars pour différents projets de réduction des émissions de NOx, 2 milliards pour le développement d’infrastructures et la publicité en faveur de véhicules sans émissions et payé une amende de 1,45 milliard. Au total, le groupe allemand a dû régler une facture de 14,7 milliards de dollars.

Désormais le scandale éclabousse d’autres marques encore. Et il apparaît que le trucage des moteurs pour éluder les normes anti-pollution relevait non pas d’acteurs isolés, mais faisait partie intégrante du modèle d’affaires: comment optimiser le profit et supplanter la concurrence en trompant le consommateur. Bref, tout le contraire des qualités inhérentes à un marché digne de ce nom, à savoir l’intégralité et la véracité des informations qui sous-tendent les échanges.

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