La finance fait des offrandes à ses dieux


Il arrive qu’une société cotée en bourse lance un programme de rachat de ses propres actions – Share Buy Back dans le jargon anglo-saxon qui domine la finance. C’est souvent mauvais signe.

PAR PIERRE ROCHAT

Nestlé vient d’annoncer qu’elle intensifie son programme de rachat. Sans faire un procès à cette société qui n’est pas née de la dernière pluie, on peut se demander pourquoi elle agit de la sorte.

Ici s’opposent deux visions, l’une financière, l’autre industrielle.

Le groupe a amassé trop de liquidités. En achetant à la bourse ses propres actions (et en les annulant), elle en fait monter le cours et, en dégonflant ses fonds propres, augmente son ratio de rendement des fonds propres – Return On Equity -, ce qui est un gage d’augmentation du cours de bourse. Tout le monde est content. A court terme.

Car l’entreprise se prive de moyens pour se déployer industriellement, ce qui est le gage de la prospérité future.

A cet argument, le financier opposera qu’il préfère réduire ses fonds propres et les remplacer par un emprunt, surtout lorsque les taux d’intérêt sont bas et que la notation de la société est excellente. C’est la tentation de l’endettement. On sait que cela peut finir en une spirale désastreuse.

L’investisseur peut légitimement se demander si la direction de l’entreprise n’aurait pas d’idées où investir. Ce serait le scénario assez grave d’un aveu d’arrogance: on est fort et on se repose sur ses lauriers, ou d’un aveu d’incompétence: on ne sait pas où aller. Dans tous les cas de figure, l’investisseur a du souci à se faire.

Diminuer ses fonds propres afin d’augmenter leur rentabilité est un artifice qui n’augmente pas la valeur de l’entreprise. Ce n’est que de l’arithmétique. La vraie création de valeur passe par l’investissement.

Mais force est de constater que le raisonnement financier a pris les commandes dans les grandes entreprises sous la pression de la bourse qui aime les profits immédiats.

La mesure de la création de valeur est le bénéfice industriel (EBIT) moins le coût du financement de l’entreprise, soit l’addition du coût des emprunts et du coût des fonds propres. Ce dernier est calculé sur la base d’un taux pro forma qui correspond au taux des emprunts d’Etat augmenté de la prime de risque d’entreprise sans laquelle les investisseurs ne conserveraient pas l’action. Moins de fonds propres conduisent à abaisser le coût de financement et à engendrer plus de valeur. Ce n’est juste qu’arithmétiquement. La vraie valeur créée se fait par l’augmentation du bénéfice industriel (EBIT).

Nestlé affiche un rendement de ses fonds propres supérieur à 13% qui offre une prime de risque confortable, et d’autant plus confortable que l’endettement est faible. Alors pourquoi lancer un programme de rachat?
Faute d’idées, les financiers font des offrandes à leurs dieux. Mais les offrandes n’apaisent jamais que ceux qui les donnent.

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