Catalogne, si Rougemont revenait…


S’il revenait aujourd’hui, Denis de Rougemont serait bien marri.

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

L’Europe, sa chère Europe, va à vau-l’eau. Vaste marché unique soumis au diktat du consumérisme, elle a d’abord raté sa mission culturelle. L’écrivain et philosophe suisse abhorrait l’économie en tant que fin en soi.

Ensuite parce que le futur du vieux continent, celui qui a son buste à Strasbourg en compagnie des autres pères de l’Europe le voyait régionaliste. « L’Etat-nation disparaîtra de lui-même au terme du processus de régionalisation. Il tombera en désuétude. L’Etat n’a rien d’éternel. Il n’est pas « conforme à la nature des choses », comme le veulent encore trop de chefs… d’Etat », déclarait-il dans une interview parue en 1968.

Autant dire que l’affaire catalane révolterait l’auteur de « L’Amour et l’Occident ». Il prendrait sa plus belle plume et se fendrait d’un article virulent dans « Le Temps ». On le prendrait au sérieux parce qu’il a connu Winston Churchill et Jean Monnet. Le problème est que Rougemont est mort en 1986, laissant un grand vide dans la conscience européenne. Bretagne, Alsace, Ecosse, Bavière, Lombardie, ses protégées, restent orphelines d’un projet de civilisation. D’autres régions n’ont pas ce problème, la Suisse fédéraliste, la Hongrie amputée des deux-tiers de son territoire, donc homogène, qui plus est sans passé colonialiste récent.

Face aux velléités indépendantistes, Bruxelles n’a qu’un mot à la bouche: légalité. Le vote catalan fera-t-il école, le vieux continent connaîtra-t-il d’autres sécessions? Telles semblent être ses seules obsessions. Le référendum catalan n’a pas lieu d’être parce que Madrid ne l’autorise pas. Comme si le Bélier jurassien, en son temps, avait attendu le feu vert de Berne! Par son silence l’UE cautionne la force, l’intervention d’une garde civile de sinistre mémoire. De quoi alimenter le sentiment d’injustice et la violence dans une contrée à ce jour pacifique.

 

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12 commmentaires à “Catalogne, si Rougemont revenait…”

  1. Fred Liechti 8 octobre 2017 at 19:25 #

    Si Denis de Rougemont revenait……..
    Il saurait aujourd’hui que Jean Monnet travaillait pour la CIA
    Il saurait que la commission européenne est inféodé au libéralisme globalisé
    Il comprendrait que la disparition des états nations est synonyme de dépeçage capitaliste
    Il ne tarderait pas à comprendre qui manipule la déstructuration de nos sociétés européennes et pourquoi.

  2. Christian Campiche 9 octobre 2017 at 09:10 #

    Fred Liechti, j’ai un doute sur votre véritable identité mais votre message est intéressant et me donne l’occasion d’ajouter ceci. J’ai publié en 1999 une biographie de Denis de Rougemont, “Le Séducteur de l’Occident” (Georg Editeur). Ce livre est épuisé et a été suivi en 2004 d’une version complétée du même ouvrage intitulée “Le Nègre de la Rose” (L’Hèbe). L’une des thèses est que l’intelligentsia européenne a été noyautée par la CIA dès les années trente. L’Europe est clairement une création américaine. En l’état il s’agit d’un coalition d’Etats-nations et non de régions, le problème est là. Tel était aussi le drame de Rougemont, pris entre ces contractions. Ce personnage était d’ailleurs en marge des systèmes, ce que montre aussi le livre.

  3. Le Médusé 10 octobre 2017 at 08:17 #

    De Gaulle dirait-il “Vive la Catalogne libre?” https://yvesmontenay.fr/2017/10/08/de-gaulle-dirait-il-vive-la-catalogne-libre/

  4. Pierre Adler 10 octobre 2017 at 18:46 #

    A Christian Campiche 9-10, 09:10

    Vous voulez dire que l’UE est une création américaine, n’est-ce pas?

    A mes yeux, et bien d’autres du reste, cela ne fait aucun doute.

    Si la Catalogne fait sécession, cela pourrait motiver les Basques et les Irlandais, et, qui sait, les Ecossais.

    Ce n’est pas moi qui pleurerai de tels développements, puisque je suis fondamentalement opposé à l’UE, que je perçois, comme Philippe de Villiers dans “Le Moment est venu de dire ce que j’ai vu”, comme une étape, un relais dans la construction de structures de gouvernance (et je dis bien ‘gouvernance’ et non pas ‘gouvernement’) supra-nationales.

  5. Bernard Walter 10 octobre 2017 at 19:03 #

    Tout est manipulation semble-t-il. Dès qu’il y a un mouvement social en mouvement, on laisse entendre que dans les coulisses les manipulateurs sont en action.
    Dans les hautes sphères du pouvoir, la seule règle, c’est la raison du plus fort.
    Le plus fort est celui qui a le plus d’espace pour manipuler, et tous les moyens lui sont bons. Jusqu’à ce qu’il s’effondre, ce qui pour le système qui nous gouverne ne saurait tarder.
    En attendant, j’aime bien l’idée de régions qui aspirent à s’émanciper des pouvoirs centraux et à prendre leur destinée en mains. La Catalogne en est un bel exemple. La réponse du gouvernement espagnol ne fait que renforcer mon sentiment. Son autoritarisme illustre bien ce qu’on doit comprendre par « démocratie », ce mot magique dont on abuse.
    Le projet d’une Europe politique a suscité bien des espoirs lors du processus qui a mené à sa réalisation. Maintenant, on le voit bien, l’Europe est en lambeaux, parce que ce n’est pas une Europe des solidarités qui s’est constituée, mais une Europe des inégalités et de la corruption.
    Ce qui se passe en Espagne est le miroir d’une situation gorgée d’espoirs, d’incertitudes et de menaces.

  6. Fred Liechti 10 octobre 2017 at 21:07 #

    Mais que fera la Catalogne “libre”? sinon se jeter dans les bras de Bruxelles.
    Et que dire des écossais qui ont refusés le Brexit.
    Faut croire qu’ils ne sont pas encore sortis du rêve européen.

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    François Meylan 12 octobre 2017 at 13:54 #

    L’Espagne vit la plus grave crise de son histoire moderne, depuis février 1977.

    À cette époque, l’après-franquisme traversait des tentatives de déstabilisation venues de groupuscules tant d’extrême-gauche que d’extrême-droite. Attentats, enlèvements, assassinats de masse perpétrés par l’Organisation du Christ-Roi (GRAPO) ou par l’Alliance apostolique anticommuniste (AAA) visaient le processus démocratique.

    À la même époque la nouvelle constitution de 1978 était rédigée. Fort heureusement, les tentatives de déstabilisation générèrent l’effet contraire et renforcèrent la réconciliation nationale et le rapprochement de tous les Espagnols. Toutefois, la poursuite des attentats terroristes au Pays basque incita une frange de l’armée a fomenter un putsch en février 1981. La tentative échoua suite à l’intervention de Juan Carlos de Bourbon, petit-fils d’Alphonse XIII. Ce dernier aura, entre autres, le grand mérite d’assurer la transition démocratique, au lendemain de la mort du dictateur Francisco Franco (20 novembre 1975), appelé aussi le Caudillo. Il sera aidé par le premier ministre Adolfo Suarez, qui dirige un gouvernement centriste de 1976 à 1981.

    Aujourd’hui, ce n’est plus l’Espagne qui est divisée et qu’il s’agit de réconcilier mais bel et bien la Catalogne. L’une des dix-sept communautés autonomes qui disposent toutes d’un régime plus ou moins large d’autonomie par rapport à l’État central. Elles ont toutes leur ADN, leurs succès et leurs difficultés respectives. Toutes également ont vécu les purges et les atrocités du franquisme. J’ai moi-même une mère d’origine andalouse qui a vu deux de ses oncles séquestrés par la redoutable Guardia Civil – alors police à la solde de la dictature – et disparaître à tout jamais en raison de leurs idées démocratiques. Mais si on n’est pas responsable de son enfance, on l’est de ce que l’on en fait. Ceci pour dire que les Catalans n’ont pas plus souffert du franquisme qu’ailleurs dans la péninsule.

    Toute émotion mise de côté, les faits révèlent les constats suivants. Par opportunisme politique et en raison d’intérêts particuliers, une poignée de leaders a galvanisé une minorité de Catalans – on l’évalue à un possible trente pour cent du corps électoral – pour adopter une posture dans l’inégalité la plus totale et jusqu’à l’insurrection. La réponse de l’État de droit – base fondamentale de toute démocratie – est de rétablir l’ordre et par l’usage de la force si nécessaire. Celle-ci doit bien-entendu être le dernier recours et rester proportionnée. L’article constitutionnel 155 alinéa 2 le prévoit. Et ce n’est pas Madrid qui l’actionnerait le cas échéant mais les peuples d’Espagne par le biais de leurs élus.

    Parce que comme je l’ai évoqué plus avant c’est réellement la Catalogne qui est divisée et non l’Espagne. Et chercher, après la victimisation, l’antagonisme systématique avec Madrid, c’est user du populisme et du machiavélisme pour fabriquer son ennemi. Au même titre que certains partis politiques sous nos latitudes stigmatisent les étrangers voire les frontaliers. Tant en Suisse qu’en France ou qu’ailleurs en Europe on réagirait de la même manière pour ramener l’unité du pays.

    D’autre part, qu’en est-il de la majorité silencieuse – pour le moins quelque septante pour cent – qui n’a aucune velléité séparatiste ? Doit-on l’abandonner à son sort d’otage? Doit-elle s’exiler dans les autonomies voisines ? Dans le cas précis, ce serait Aragon à l’Ouest, Valencia au Sud, les Baléares à l’Est ou la France au Nord. Ou faut-il imaginer une partition de la Catalogne avec un statut spécial pour Barcelone à l’instar de Jérusalem?

    On le voit, ce n’est pas simple. Mais le principe de la priorité à l’innocent et au bien commun va dans le sens de la fermeté. N’en déplaise à quelques médias avides de sensations fortes, les autorités espagnoles, tout comme le roi, font juste. Notons que les maires des principales villes catalanes tout comme nombre d’intellectuels et artistes catalans se sont totalement désolidarisés de Carles Puigdemont. Que plusieurs milliers d’entreprises ont quitté la région depuis 2012. Ce qui est de bien mauvaise augure pour une Catalogne qui croule sous une dette publique équivalent à près de 100 % de son PIB.

    Puigdemont a semble-t-il oublié que le principal partenaire commercial de sa province de sept millions et demi d’habitants n’est autre que l’Espagne. Puisse-t-il être bien inspiré et se rendre dans la partie nord de la Catalogne historique cédée à la France par l’Espagne en 1659. Une partie du département français des Pyrénéennes-Orientales où l’on pratique la culture et le dialecte catalans. On y vit très bien la double culture qui est un vrai enrichissement mutuel. Puisse le méga-rassemblement pacifique de dimanche 8 octobre 2017 dans les rues de Barcelone de la grande majorité jusqu’alors silencieuse suffire comme rappel à la raison.

  8. Philippe Junod 12 octobre 2017 at 15:44 #

    « L’idée d’un seul peuple catalan est abusive »
    Propos de Laura Freixas, recueillis par Valérie Demon dans le quotidien “La Croix”, le 09/10/2017 à 6h00
    Née à Barcelone en 1958, l’écrivain vit à Madrid
    https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Laura-Freixas-Lidee-dun-seul-peuple-catalan-abusive-2017-10-08-1200882603

  9. Philippe Junod 12 octobre 2017 at 15:48 #

    « Un problème impossible »
    Texte de Sergi Pàmies, traduit de l’espagnol par Edmond Raillard dans le quotidien “La Croix”, le 09/10/2017 à 6h00
    Né à Paris de parents émigrés politiques, l’écrivain rentre à 10 ans à Barcelone où il apprend le catalan, qui sera sa langue d’écriture
    https://www.la-croix.com/Journal/probleme-impossible-2017-10-09-1100882671

  10. Bernard Walter 13 octobre 2017 at 00:12 #

    A François Meylan
    Le gouvernement espagnol fait tout juste, dites vous en substance.
    Pourtant Pablo Casado, porte-parole du parti au pouvoir en Espagne a explicitement évoqué le souvenir de Lluis Companys, torturé puis fusillé par les franquistes il y a 83 ans, laissant entendre que Carles Puigdemont pourrait subir le même sort s’il persistait dans ses idées d’indépendance de la Catalogne.
    Cette inqualifiable menace de mort proclamée à la télévision montre bien la nature du pouvoir central espagnol actuel.
    Nos médias se montrent extrêmement discrets quant à ce qui est plus qu’un dérapage, et qui laisse augurer d’un avenir inquiétant. Et pas seulement pour l’Espagne sans doute.

  11. Philippe Junod 16 octobre 2017 at 16:18 #

    « Il faudra pourtant discuter fraternellement »
    Ces propos de Jordi Savall, recueillis par Nathalie Lacune dans le quotidien “La Croix”, le 09/10/2017 à 6h00
    Violiste, violoncelliste, chef de chœur et chef d’orchestre, Jordi Savall dirige le Centre internacional de Música Antiga, la Capella Reial de Catalunya-Hespèrion XXI, et le Concert des Nations
    https://www.la-croix.com/Journal/Il-faudra-pourtant-discuter-fraternellement-2017-10-09-1100882630

  12. Philippe Junod 16 octobre 2017 at 16:24 #

    « Le danger d’explosion est grand », cet article de Mathias Énard paru dans le quotidien “La Croix”, 9 octobre 2017. L’écrivain a vécu à Barcelone entre 2000 et 2015 où il a, entre autres, enseigné l’arabe à l’Université autonome de Catalogne.
    https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Mathias-Enard-Le-danger-dexplosion-grand-Catalogne-2017-10-08-1200882598

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