Chronique catalane – Quelle démocratie, quelle justice en Espagne, où va-t-on?


A l’heure où j’écris ce texte, dix êtres humains, hommes politiques, sont sous les verrous en Espagne, accusés de rébellion, sédition et malversation de fonds publics.

PAR FRANÇOIS GILABERT

Huit membres du gouvernement catalan rejoignent les deux leaders indépendantistes non-violents de la société civile, emprisonnés il y a déjà trois semaines déjà. Leurs noms: Oriol Junqueras, vice-président de la generalitat de Catalogne et conseiller au département de l’économie et des finances; Jordi Turull, conseiller au département de la Présidence et porte-parole du gouvernement; Dolors Bassa, conseillère au département du travail, des affaires sociales et des familles; Josep Rull, conseiller au département du territoire; Raül Romeva conseiller au département des affaires extérieures, Carles Mundó, conseiller au département de la justice; Joaquim Forn, conseiller au département de l’intérieur; Meritxell Borràs, conseillère au département du gouvernement, de l’administration publique et du logement. Quatre autres membres du gouvernement catalan sont en exil: le président Carles Puigdemont; Antoni Comín, conseiller du département de la santé, Luis Puig, conseiller du département de la culture, Clara Ponsati, conseillère au département de l’enseignement et Meritxell Serret, conseillère au département de l’agriculture.

Mais que peut-on leur reprocher? D’avoir défendu des idées politiques, d’avoir mené  jusqu’au bout le mandat et les projets pour lesquels le peuple a voté démocratiquement? L’Espagne compte actuellement dix prisonniers politiques, et en même temps que de nombreux juristes s’interrogent sur la légalité de ces mesures coercitives et répressives qu’impliquent la mise en application de l’article 155 de la constitution espagnole, on peut également s’inquiéter de l’engrenage dans lequel le gouvernement de Mariano Rajoy s’enlise. Verra-t-on, comme prochaine étape, pour faire suite à la répression sanglante de la tenue du référendum, à la détention de deux leaders indépendantistes non-violents, puis des membres du gouvernement catalan, l’interdiction de partis politiques? Cette éventualité n’est pas sans fondement car à Barcelone, le parti indépendantiste d’extrême gauche CUP fait déjà l’objet de plaintes.

Aux dernières nouvelles, le président Puigdemont et ses quatre conseillers se sont livrés à la justice belge. Le juge d’instruction belge devra décider dans les 24 heures s’ils pourront bénéficier d’une mise en liberté sous caution ou non. Il faut rappeler que l’Audience nationale espagnole avait adressé vendredi un mandat d’arrêt international aux autorités judiciaires belges. Ensuite, jeudi prochain la présidente du parlement catalan Carme Forcadell, ainsi que les membres de l’organe directeur du parlement devront se présenter au Tribunal Suprême espagnol, et vraisemblablement ils risquent également des sanctions allant jusqu’à l’emprisonnement.

Selon toute vraisemblance la stratégie de Mariano Rajoy est de combattre le mouvement indépendantiste en utilisant la voie de la répression et de l’attaque en justice de politiciens, au risque de remettre en question les fondements mêmes de la démocratie et des droits de l’homme. Je rappelle que M. Rajoy et la politique du gouvernement espagnol se sont montrés fermés à toute négociation sur le statut d’autonomie de la Catalogne et que plus d’une vingtaine de lois promulguées par le parlement catalan, dont beaucoup d’entre elles proposaient des avancées sur le plan social, ont été abolies par le Tribunal Constitutionnel suite aux plaintes du Parti Populaire. Cette attitude intransigeante, de fermeture peut en partie expliquer la montée de l’indépendantisme et l’aboutissement d’un référendum d’indépendance en Catalogne.

Cela dit, il faut peut-être ici rappeler les cinq critères établis par le conseil de l’Europe, dont un suffit, pour définir un statut de prisonnier politique:

1. Détention imposée en violation des libertés fondamentales.
2. Détention pour des raisons politiques sans rapport avec une infraction.
3. Disproportion, pour des raisons politiques entre la durée ou les conditions de détention et la gravité de l’infraction.
4.Discrimination d’une personne détenue par rapport aux autres pour des raisons politiques
5. Irrégularité de la procédure de jugement pour des raisons politiques.

Or si l’on se penche de près sur les motifs pour lesquels les membres du gouvernement catalan ainsi que les deux leaders indépendantistes ayant organisé des actions non-violentes ont été emprisonnés, ainsi que sur les circonstances de leur incarcération, une plainte pourrait être envisagée auprès du Tribunal des Droits de l’Homme. En effet, les conseillers ainsi que le vice-président du gouvernement catalan, ont été placés en détention, sans qu’ils aient pu constituer le dossier de leur défense. L’infraction que l’on impute aux deux responsables des organisations indépendantistes non-violentes est contestable et ne justifie pas, selon toute vraisemblance, la détention provisoire, celle-ci étant disproportionnée. De plus, les conseillers ont été, preuves à l’appui, insultés par le corps de police au moment de leur détention, conduits à leur lieu de détention les mains menottées dans leur dos, puis dépouillés de leur vêtements comme des prisonniers de droit commun. Enfin, le Président de la Généralitat de Catalogne risque jusqu’à trente ans de prison pour rébellion, alors qu’il s’est servi de votations, de lois et non de violence pour appliquer le mandat que le peuple souverain a bien voulu lui conférer. N’est-ce pas disproportionné? Et ces arrestations ne provoquent-elles pas en tout un chacun, en Suisse comme en Europe, chez chaque démocrate, une sentiment de malaise, d’indignation?

Un ami m’a rappelé deux citations de Montesquieu qui me semblent très à propos en lien avec les événements inquiétants que nous vivons dans cette Europe si démocrate:
“Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi (…) mais elle doit être loi parce qu’elle est juste” et “il n’y a point de plus cruelle tyrannie que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice”.

La semaine sera dense en événements en Catalogne. Une centaine de maires des villes et villages de Catalogne se rendront à Bruxelles pour soutenir le président Puigdemont. Des manifestations diverses vont se produire dans l’ensemble de la Catalogne et une grève générale serait organisée mercredi 8 novembre 2017. Samedi 11 novembre 2017 est prévue une massive manifestation à Barcelone en défense de la république et de la démocratie.

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