Inconnu à soi – Un texte de Sabine Dormond pour les Dissidents de la pleine lune


On entre en désespoir de cause. En miettes.

PAR SABINE DORMOND

On entre éparpillé, déconnecté de soi et coupé des autres. On entre parce qu’on a tout tenté et tout raté. Qu’on n’a plus rien à perdre. Et nulle part d’autre où aller. On pose ses fesses, on ferme sa gueule. On essaie juste de se fondre dans le décor. On se la coince et on écoute.

On s’étonne de se trouver au centre de l’attention. Accueilli comme la reine d’Angleterre, la chaleur en plus, acclamé comme à l’arrivée du tour de France.

On rougit de leurs mots de bienvenue. On, ce débris, ce plus rien. Leur bienveillance incline à leur prêter oreille. Leur langage déconcerte notre concentration vite dissipée. Leur langage et leurs rituels.

D’emblée, on s’aperçoit que leur histoire est la nôtre, que c’est de nous qu’ils parlent. Leur enfer ressemble à notre quotidien jusque dans ses moindres recoins, tout nous y est familier. Leur descente, on y glisse comme sur un chausse-pied. Leur débâcle est le seul chemin qu’on n’ait jamais emprunté.

Tout le reste, on l’a volé, sauf les conséquences.

Comme eux. On se retrouve dans leurs fêlures et ça nous fraternise. Pour la première fois, on s’identifie, on se sent même appartenir. Un peu, beaucoup, c’est selon. On a l’impression d’avoir trouvé sa place.

Leurs paroles ont un accent de sincérité qui pénètre les armures. Un bouleversant accent d’humilité qui les humanise comme personne. On boit ces mots, on a d’emblée envie de se les approprier. Eux ne demandent qu’à transmettre leur brin de lumière. Ce n’est qu’en partageant ce que nous avons que nous le conservons, scandent-ils d’une seule voix. Et ce qu’ils ont, c’est rien de moins qu’un programme pour se relever quand on a passé sa vie à s’enfoncer dans la défonce. Un programme pour apprendre à marcher.

On se regarde dans les yeux des autres, on se revisite ensemble, on se fait écho.

On apprend à penser davantage avec le cœur pour moins mouliner du bocal.

On apprend à se panser. On ne se dit pas guéris, on guérit de se dire. On entre seul et on ressort nombreux. On entre et nous ressortons. Déjà on se nousoie, preuve que le miracle opère. On se nousoie tout en ne faisant qu’un.

Quand l’un de nous rechute, c’est une forêt de mains qui se tend. Nous les boiteux, les estropiés tenons debout par la force de notre pluralité, par la gravité de ce que nous avons traversé. Nous sommes des miraculés, c’est ce qui nous réunit, nous nous miraculons parmi. Nous et cette puissance qui nous transcende à qui nous confions timidement notre vie et notre volonté.

De fois en Foi, une lueur s’esquisse au fond des ténèbres. D’aveux en confidence, la guérison se propage comme un feu sacré. La parole dépouillée de tout apparat, la parole au service de la vérité, dessine une fenêtre à l’enfer. Alors nous comprenons peu à peu, dans notre esprit brouillé de trop de substance et d’abus, que c’est au prix d’une rigoureuse honnêteté que nous pourrons à notre tour emprunter ce chemin de gratitude, guidés par cette obscure clarté qui nous appelle à devenir soi, qui nous appelle à nous.

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Un commentaire à “Inconnu à soi – Un texte de Sabine Dormond pour les Dissidents de la pleine lune”

  1. Sima Dakkus Rassoul 18 novembre 2017 at 09:20 #

    Très beau texte, Sabine!

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