Lire Jakob van Hoddis puis imaginer des mondes différents en gardant les yeux ouverts


Weltende

Dem Bürger fliegt vom spitzen Kopf der Hut,

In allen Lüften hallt es wie Geschrei,

Dachdecker stürzen ab und gehn entzwei

Und an den Küsten – liest man – steigt die Flut.

Der Sturm ist da, die wilden Meere hupfen

An Land, um dicke Dämme zu zerdrücken.

Die meisten Menschen haben einen Schnupfen.

Die Eisenbahnen fallen von den Brücken.

Jakob van Hoddis (1911)

 

Fin du monde

Du bourgeois au crâne pointu le chapeau s’envole,

Partout comme de cris les airs résonnent,

Les couvreurs tombent des toits et se cassent sur le pavé

Et sur les côtes – c’est ce qu’on peut lire – les flots montent.

La tempête est là, les mers sauvages font des bonds

Sur les terres et écrasent les épaisses digues.

La plupart des hommes ont un rhume.

Les trains tombent des ponts.

Jakob van Hoddis (1911), trad. Bernard Walter

 

Ce poème, publié il y a un peu plus de cent ans, en 1911, a eu un impact énorme. Quelque chose était dans l’air, depuis vingt ou trente ans s’accumulaient les inquiétudes, un monde bouillonnant d’angoisses, et trois ans plus tard éclatait la pire guerre des Occidentaux entre eux. « Moi mon colon, celle que j’préfère, c’est la guerre de 14-18 » (Georges Brassens). Tous les prétextes sont bons, toutes les explications sont bonnes pour faire passer ces massacres inouïs pour un événement survenant dans un contexte «historique» quasi normal. Alors que ce n’est que la brutalité ordinaire d’un système qui avait fait ses preuves depuis quelques siècles un peu partout dans le monde, qui tout d’un coup trouvait à s’exprimer dans un paroxysme. C’est la culture du rapport de force, la culture de la soumission de l’individu à la force aveugle des pouvoirs qui explosait, comme plus tard ont explosé les bombes atomiques sur le Japon. Et comme depuis cinquante ans se balancent les centrales nucléaires sur nos têtes et se propagent les massacres et exodes de populations autour de la planète.

Les intempéries et montées des océans, les pandémies (sous la forme dérisoire du rhume), cette ambiance inquiétante où tout commence à échapper au contrôle humain, tout cela l’auteur de ce texte plus que prémonitoire l’exprime avec une crudité et une sobriété déconcertantes.

Cent ans plus tard, notre ciel est chargé de choses que tous pressentent, que plus personne ne peut faire semblant d’ignorer.

C’est terrible et c’est tant mieux. C’est en gardant les yeux ouverts que nous pouvons imaginer des mondes différents, et que nous pouvons commencer de les construire avec ceux qui sont autour de nous. Il est au pouvoir de chacun de ne pas se soumettre, c’est-à-dire de devenir, à sa manière et sur son lieu de vie, un résistant.

Bernard Walter

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